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Publié le vendredi, 25 novembre 2022 à 10h17

Le fil de midi de Goliarda Sapienza aux éditions Le Tripode

Par Antonella Attanasio

Le fil de midi de Goliarda Sapienza - couverture

Née à Catane en 1924 dans une famille socialiste anarchiste, Goliarda Sapienza est admise à l’Académie d’Art dramatique Silvio d’Amico de Rome à l’age de 16 ans. Elle deviendra comédienne et ensuite écrivaine.
Mariée à Francesco « Citto » Maselli, et après avoir traversé une période de profonde dépression qui la mène à une tentative de suicide, elle est livrée aux soins d’un jeune thérapeute. De cette expérience sortira en 1969 Le Fil de midi, texte qui marque sa carrière littéraire, avant qu’elle ne se livre à l’écriture de l’œuvre la plus connue, L’art de la joie.

Goliarda Sapienza décrit dans Le fil de midi - édité en 2022 par Le Tripode - les phases de la thérapie qui suit sa première tentative de suicide, bougeant sur un fil qui lie folie et dépression, mémoire et individualité, échange avec autrui et conservation de soi. N’arrivant jamais à poser un cadre péremptoire à sa prétendue folie, elle fait ici, alors, le récit de sa maladie. Une maladie contagieuse, ayant déjà touché sa mère qui semble se transmettre à Goliarda, et finit par entraîner son mari, et même le médecin responsable de devoir la guérir. Une maladie qui parle au lecteur, vrai destinataire de son récit, dans le but de faire entendre ce que c’est que d’être malade, que d’être « fou », mais aussi ce qui se cache dans cette folie, le sens d’une vie, le parfum de sa propre individualité, et comme l’auteure le dit, le « droit à sa propre mort » qu’aucune loi, aucune religion ne peut enlever à la personne.

Le fil de midi est avant tout un livre entamé d’une narration, le récit de la confusion qui atteint Goliarda Sapienza après la cure d’électrochocs qui lui a fait perdre la mémoire des dix dernières années. Aucun aspect de sa vie n’a été sauvé des ravages de la perte de la mémoire, que le médecin patiemment reconstruit avec elle, page après page. La grande confusion de l’auteure à ce stade émerge à travers l’écriture, mais dans le choix de ne pas cacher cette confusion au lecteur, la montrant telle qu’elle était, l’auteure en dévoile le sens et l’ordre sous-jacent.

Au moins trois plans temporels se mélangent au fil des chapitres, sans que le passage de l’un à l’autre ne soit jamais explicité, et pourtant il reste clair : l’écriture de Goliarda ne décrit jamais l’espace, ni le corps, ni le temps, se « limitant » à les montrer à travers le filtre de ses émotions.

Aussi, à l’introspection se substitue l’échange avec l’autre, à la solitude la présence imposante du médecin dont Goliarda finit par tomber amoureuse, qui analyse tout, réinterprète tout, démystifie tout. La psychothérapie ne se limite pas à redonner la mémoire à la patiente : les uns après les autres, tous les éléments qui constituent sa personnalité sont descellés, analysés, interprétés, telle la peau d’un cadavre disséqué qui laisse la chair vivante à découvert.

Mais, franchie la frontière entre patient et médecin, la narration de la thérapie est malheureusement aussi le récit de la perte de soi qui en suit : la patiente est alors laissée seule à découvrir la voie de sortie de sa dépression, la remontée de cette mer d’émotions qui risque de la noyer.

Beaucoup de critiques décrivent le récit de cette thérapie comme le récit de son échec. Je trouve trompeuse cette interprétation en deux points : le premier est que cet échec est seulement apparent ; le deuxième est que, si un échec est ici décrit, il n’est pas celui de la thérapie de l’auteure, mais bien celui de la psychanalyse en général.

Dans un siècle, le vingtième, qui a vécu la « défaite des utopies » comme l’auteure aimait le dire, Goliarda Sapienza réclame dans les pages finales du roman ce qu’elle appelle le « droit à sa propre mort », soit le droit à exprimer son individualité sans connaître les causes qui l’ont générée, la psychothérapie ne pouvant pas montrer le chemin à emprunter, la froideur chirurgicale de l’analyse ne pouvant pas remplacer la vie, l’échange, l’amour.
Le droit à sa propre mort signifie alors la seule manière d’exister que l’être humain a, le droit de vivre sa vie sans en chercher l’explication : à sa façon.

Informations pratiques
  • Goliarda Sapienza, Le fil de midi, traduit de l'italien par Nathalie Castagné, Le Tripode, 18 €