Publié le mardi, 30 juillet 2019 à 10h38
L’Art d’être fragile, roman d'Alessandro d’Avenia
Paru au mois de janvier de l'année dernière aux éditions PUF, L’Art d’être fragile d’Alessandro d’Avenia sort cette fois en poche aux éditions Flammarion.
OVNI littéraire, L’Art d’être fragile interpelle tant par le fond que par la forme. Le titre italien - L’arte di essere fragili- renvoie en apparence à un essai philosophique… et pourtant le livre présente une correspondance imaginaire entre Alessandro d’Avenia et Giacomo Leopardi (1798-1837), poète incontournable du XIXème siècle, trop souvent réduit au pessimisme intégral de sa pensée.
Alessandro d’Avenia est, lui, un professeur de philosophie, auteur de livres devenus des best-sellers en Italie et à l’étranger. L’Art d’être fragile, qui met la lumière sur Giacomo Leopardi, ne déroge pas à ce succès. Est-il un mantra philosophique ? Une synthèse de l’œuvre de Leopardi ? Un manuel poétique ? Un guide pratique ? Un texte qui remplit toutes ces fonctions peut être…
Alessandro d’Avenia nous propose de mieux connaitre Giacomo Leopardi, poète pour lequel il a eu une révélation alors qu’il était adolescent : « cet ami (…) celui, qui, quand j’avais dix-sept ans passa le seuil de ma chambre pour ne plus jamais en sortir ».
Alessandro d’Avenia assume cette relation intime avec le poète, en s’adressant directement à lui, à la deuxième personne « Cela est l’indice du bonheur, tu me l’as dit… » ; « Il était clair, pour toi, depuis toute ta jeunesse, que la condition de l’homme mérite pitié ».
Dès le début de l’ouvrage, il inscrit Giacomo Leopardi dans la modernité et soutient que son œuvre nous aide à surmonter notre existence dans un monde qui nous survivra au fil du temps.
Giacomo Leopardi avait évoqué l’idée dans son Zibaldone, recueil de pensées et de réflexions, d’écrire une Lettre à un enfant du XXème siècle : « La poésie est un message enfermé dans une bouteille, qui vit dans l’espérance et d’un dialogue différé dans le temps. Telle a été pour moi, l’adolescent naufragé dans sa chambre, la poésie de Leopardi ».
L’Art d’être fragile fait le pont entre nous, lecteurs, et le poète du XIXème siècle en énonçant les différents « âges de l’homme ». Ils correspondent à la structure du livre : l’adolescence ou l’art d’espérer, la maturité ou l’art de mourir, la réparation ou l’art d’être fragile, mourir ou l’art de renaître…un cheminement pour savoir comment faire perdurer notre identité. L’organisation du livre permet une approche claire de la pensée de Giacomo Leopardi.
Chaque partie est subdivisée en plusieurs chapitres courts mais denses et aux titres énigmatiques dont les clés de lecture nous sont révélées au fil des pages. Chaque chapitre est introduit par une citation extraite d’œuvres en prose ou en vers ou de correspondances de Giacomo Leopardi, qui sont ses rares réparties dans ce « dialogue » qui n’en est pas un, à l’image du Neveu de Rameau de Diderot.
Au fil du raisonnement, beaucoup de questions sont posées sans pour autant être résolues de façon catégorique et figée. Pour l’auteur, la question est bien plus importante que la réponse. La question est déjà une forme de réflexion, une façon de mettre en suspens le questionnement et de se rapprocher de la poésie qui n’est pas la résolution froide d’une équation.
Alessandro d’Avenia tire de nombreux exemples de son expérience avec ses élèves. Il LES encourage à interroger leur vanité. Autant d’anecdotes permettant d’aborder des questions universelles, dépassant tout rapport au temps présent : « Un beau jour ensoleillé, à l’ombre d’un arbre immense qui nous couvrait de son ombre bienfaisante, une élève me demanda pourquoi je vivais. Je lui répondis en lui tendant une fleur des champs, une petite marguerite : ‘Pour défendre la beauté des choses fragiles’ ».
Italo Calvino s’était interrogé dans un célèbre recueil Pourquoi lire les classiques ? et avait démontré notamment la puissance de ces textes « qui exercent une influence particulière aussi bien en s’imposant comme inoubliables qu’en se dissimulant dans les replis de la mémoire par assimilation à l’inconscient collectif ou individuel. »
L’Art d’être fragile démontre que le texte de Leopardi témoigne d’une vitalité extraordinaire et intemporelle qui peuvent résonner dans le cœur et l’esprit des lecteurs, malgré les plus de deux cent ans qui les séparent.
Nulle saison n’est meilleure que l’été pour pouvoir prendre le temps de se divertir et se cultiver. Ainsi, L’Art d’être fragile s’y prête bien, car il offre un parcours ludique et agréable à lire sur sa propre fragilité. Une quête ontologique : « La fragilité d’abord vécue comme une faim d’infini que rachète la limite devient maintenant la tentation d’accepter de n’être que limite ».