Archives Cinéma

Publié le mercredi, 16 décembre 2020 à 09h44

La Trilogie de la vie de Pier Paolo Pasolini ou l’art de la joie

Par Valérie Mochi

Pier Paolo Pasolini

C’est la période d’allégresse du cinéma de Pier Paolo Pasolini, la Trilogie de la vie, trois films pour célébrer la joie candide, le rire goliard, le sexe sans pudeur et la poésie.

Poétiques et militants, les films Le Décaméron (Il Decameron), Les Contes de Canterbury (I racconti di Canterbury) et Les Mille et une nuits (Il fiore delle Mille e una notte) sont un hymne à la nature, à la simplicité perdue, à l’innocence détruite par la société de consommation italienne des années 70.

Pasolini le poète maudit a choisi trois textes fondateurs de la littérature, des récits courts de la vie médiévale en Europe du nord au sud jusqu’à l’orient pour concevoir sa trilogie de la vie, la vraie vie. S’il met en scène des visions plastiques à la manière des tableaux de Bosch, des diableries à la Méliès ou une imitation de Charlot, il est toujours à la recherche de la sincérité chez ses acteurs non professionnels qu’il filme en gros plan, riants, ingénus et souvent nus.

Lorsqu’il réalise Le Décaméron (Il Decameron) il décide d’abandonner les atmosphères sombres de ses précédents films, il veut un film joyeux: « J’étais en avion, en train de tourner Médée. A l’improviste, je me souviens d’un monde tout aussi populaire, mais pas si barbare ni tragique, un monde au contraire plein de vitalité, de gaieté, de joie de vivre et de faire l’amour. Je pensai immédiatement à Boccace.»

Pasolini est aussi acteur dans ses films, dans Le Décaméron (Il Decameron) il interprète le rôle d’un peintre disciple de Giotto, il va dans les marchés étudier les visages des gens simples pour les reproduire dans ses fresques.
Dans les Contes de Canterbury il se confond avec l’auteur dans le rôle de Geoffrey Chaucer et prend des notes en observateur bienveillant et amusé de ses contemporains. Dans Les Mille et une nuits (Il fiore delle Mille e una notte) il n’apparaît pas mais reste fidèle à ses compagnons de jeu, Franco Citti et Ninetto Davoli et leur accorde une place importante dans les trois film. Du côté technique il travaille avec les mêmes collaborateurs pour la trilogie, des artistes d’exception tels que Tonino Delli Colli et Giuseppe Ruzzolini pour la photographie, Dante Ferretti la décoration, Danilo Donati les costumes et Ennio Morricone la musique.

Pasolini réalise en peu de temps les films de la trilogie qui manifestent sa voracité de textes classiques et sa recherche éperdue de sincérité. Encore en tournage de Médée il pense déjà au Décaméron qui obtiendra le second prix au festival de Berlin pendant qu’il est en train de rédiger le scénario des Contes de Canterbury. Ce dernier n’est pas encore sorti en salle, quand Pasolini part en repérages pour les Mille et une nuits. Les trois films seront un grand succès public et dans les festivals, ils recevront un accueil plus mitigé auprès de la critique, des attaques et même la censure.

Suite aux élections de 1975 en Italie, Pasolini, provocateur mais courageux et fidèle à sa ligne de conduite, change d’avis. Il se rétracte devant sa trilogie mais sans se renier, prêt à lancer son dernier et terrible film Salò ou les 120 Journées de Sodome (Salò o le 120 giornate di Sodoma) à la face du monde: « J’abjure la Trilogie de la vie, bien que je ne me repente pas de l’avoir réalisée. Je ne peux pas nier la sincérité et la nécessité qui m’avaient poussé à la représentation des corps et de leur symbole le plus fort, le sexe. Une telle sincérité, une telle nécessité ont des justifications différentes, du point de vue historique et idéologique. Tout d’abord, elles s’insèrent dans la lutte pour la démocratisation du “droit à s’exprimer“ et pour la libération sexuelle, qui étaient deux moments fondamentaux de la tension progressiste des années Cinquante et Soixante. » Devant le triomphe de la subculture des mass-média et de la communication de masse, « l’ultime défense de la réalité semblaient être ces corps “innocents“, avec la violence archaïque, obscure, vitale des organes sexuels.

Maintenant tout est renversé. (…) Tout le monde s’est accommodé de la situation, soit par choix de ne se rendre compte de rien, soit par choix d’une dédramatisation léthargique. Mais je dois aussi admettre que le choix de se rendre compte et la dramatisation ne préservent absolument pas de l’adaptation ou de l’acceptation. Je suis moi aussi en train de m’adapter à la dégradation et j’accepte l’inacceptable. J’essaie de réorganiser ma vie. J’oublie comment les choses étaient avant. Les visages aimés d’autrefois commencent à jaunir. Devant moi – lentement sans alternative - est le présent. Je réadapte mon engagement à une meilleure lisibilité {Salò?)»

Salò devait être le premier volet d’une seconde trilogie, cette fois trilogie de la mort mais Pasolini a été assassiné sans que le, les assassins soient identifié (s). Qui sait quelle puissance ténébreuse et insoutenable aurait eu les deux autres films.
La Trilogie de la vie ressort dans une superbe restauration et pour la première fois disponible en blu-ray grâce à Carlotta Films.

Informations pratiques

Disponible en DVD et coffret blu-ray

Jeu-concours un coffret blu-ray à gagner (terminé) réservé aux abonnés à notre lettre