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Publié le lundi, 27 avril 2020 à 10h20

La Nymphe Endormie, roman de Ilaria Tuti

Par Deborah D'Aietti

La Nymphe Endormie - couverture

Après Sur Le Toit de l’Enfer, Ilaria Tuti, originaire du Frioul, offre un second volet aux aventures du commissaire Teresa Battaglia, intitulé la Nymphe Endormie. Cet excellent polar de 600 pages répond aux règles classiques du genre tout en proposant des pistes originales, mêlant faits historiques, recherche anthropologique et découvertes mystiques et chamaniques.

Le titre du roman tire son nom du tableau La Nymphe Endormie, récemment acquise par un galeriste. La peinture, datant du printemps 1945, représente une belle jeune femme l’air assoupie dans les bois. La couleur rouge du tableau a montré lors d’une expertise qu’elle provenait de sang humain et de tissus cardiaques. La commissaire Battaglia est appelée pour élucider le mystère. Tous les regards se portent sur le peintre, Alessio Andrian, qui s’est plongé depuis la libération 1945 dans un rigoureux mutisme, après avoir été retrouvé nu et maculé de sang dans la forêt.

L’enquête nous porte jusqu’au Val Resia, vallée reculée du Frioul, située à la frontière italo-slovène, au patrimoine culturel et linguistique précieux et où ses habitants se ressemblent tous après des années d’isolement au monde extérieur. C’est également un haut lieu de la résistance italienne et des partisans de Tito contre les nazis.

La vallée abrite une immense forêt, gardienne d’histoires secrètes, où des faits étranges se produisent. Continuellement personnifiée tout au long de l’histoire, cette forêt est à la fois fascinante et effrayante : « les messages sonores de la forêt leur parvinrent comme la respiration d’un organisme vivant. (…) Mais la forêt, Battaglia le savait, était aussi faite de secrets et de révélations, d’obscurité et de mort. Elle était aussi composée des ossements de ceux qui s’y étaient perdus et n’en étaient plus jamais revenus ».

L’enquête se mêle aux « enquêtes » introspectives des protagonistes principaux, Teresa Battaglia et son adjoint Massimo Marini. Si le jeune inspecteur détient un lourd secret qui l’empêche de goûter au bonheur, Teresa Battaglia, elle, lutte contre la maladie d’Alzheimer dont les symptômes se manifestent de plus en plus : c’est une ironie de perdre la mémoire, faculté indispensable à l’exercice de son métier. Elle garde alors le secret et recense tout dans un journal. Battaglia est une femme volcanique, à la chevelure rousse et au ton souvent sarcastique mais qui témoigne d’une empathie remarquable auprès des personnes qu’elle interroge et qu’elle mobilise tout au long de l’enquête. C’est une femme forte mais qui sait qu’elle perd de plus en plus ses facultés. Elle est entourée cependant d’une famille qu’elle s’est choisie, les policiers, Marini en tête, qui s’évertuent tous à la protéger, sans pour autant connaître la véritable cause de ses troubles.

La Nymphe Endormie est un polar riche par la diversité des thèmes qu’il aborde. Très bien documenté sur l’univers de la police, ce roman se met aussi sur les traces des croyances primitives du nord-est de l’Italie, entre mysticisme et chamanisme. Pour le plus grand plaisir du lecteur et sans ostentation, Ilaria Tuti met tout une somme de savoirs et de détails culturels, au service d’une intrigue construite et pleine de rebondissements. Pour le monde de l’enquête policière, on découvre « l’Human remains detection », technique utilisée par la jeune Blanca Zalgo, dresseuse du chien Smoky, pour repérer des restes humains (ossements, sang…) et qui aideront la commissaire Battaglia dans ses recherches. Cette technique s’avère incontournable pour résoudre l’enquête qui nous mènera jusqu’à des rites primitifs et féminins ancestraux remontant jusqu’au mythe d’Isis qu’avait décrit Plutarque dans ses Œuvres Morales.

Bien loin des tendances sensationnalistes, frôlant parfois le complotisme, des romans comme le Da Vinci Code, Ilaria Tuti propose toutefois le meilleur de ce qu’on y cherche. Enquête haletante, personnages forts, ésotérisme, remontée dans l’Histoire, environnement aussi bien réel que mystérieux…
Il faut donc lire Une Nymphe Endormie à la fois pour ses qualités romanesques mais aussi pour l’occasion donnée de mieux comprendre le Frioul. Au croisement de grandes cités de l’Histoire - Venise, Vienne, Zagreb, Ljubljana- ce cœur de l’Europe civilisée renferme aussi une nature profondément sauvage, immémoriale et pleine de mystères.

Informations pratiques

Ilaria Tuti, La Nymphe Endormie, traduit de l’italien par Johan-Frederick Hel Guedj, collection La Bête Noire, Éditions Robert Laffont.
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