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Publié le jeudi, 11 juin 2009 à 17h22

La Maladie de la famille M. de Fausto Paravidino

Par Stefano Palombari

Grand défenseur des écritures d'aujourd'hui, distingué par de nombreux prix, Radu Afrim est l'un des metteurs en scène les plus en vue de la nouvelle génération roumaine. Né en 1976 à Gênes, Paravidino est comédien, metteur en scène, traducteur, scénariste et auteur d'une étonnante précocité. Situé dans "un temps à cheval entre l'automne et l'hiver" et dans une agglomération "en bordure des routes nationales', La Maladie de la famille M. dresse le portrait collectif et tragique d'une famille ordinaire. Afrim décale radicalement l'action, qu'il situe dans un sous-bois : du coup, ce qui pourrait n'apparaître que comme une chronique sociale de plus prend un relief poétique inattendu, révélant la fantaisie et l'humanité du texte, qui fut couronné en 2000 par le Prix Candoni-Arta Terme.

Né en 1976 à Gênes, où il suit les cours d'art dramatique du Teatro Stabile, Paravidino est comédien, metteur en scène, traducteur de l'anglais (Shakespeare, Pinter), scénariste, réalisateur (son premier film, Texas, a été primé il y a quatre ans au Festival de Venise), auteur d'une étonnante précocité (écrivant sa première pièce, Trinciapolio, à l'âge de 20 ans avant d'en diriger lui-même la création trois ans plus tard). Paravidino n'est d'ailleurs pas tout à fait un inconnu dans le paysage théâtral francophone.

Au cours des trois dernières années, des metteurs en scène tels que Stanislas Nordey, Denis Maillefer, Victor Gauthier-Martin ou Jean-Romain Vesperini ont travaillé sur des textes comme Gênes 01, Nature morte dans un fossé, ou Deux frères - autant d'oeuvres très différentes entre elles, car Paravidino aime à changer à chaque fois de domaine théâtral pour mettre à l'épreuve sa propre versatilité et se fixer de nouvelles contraintes. Si Nature morte dans un fossé, par exemple, relève du genre noir, Gênes 01, pièce militante, non dialoguée, témoigne des violences policières, mais aussi politico-médiatiques dont la cité fut le théâtre lors du sommet du G8 en 2001, tandis que Peanuts, pièce pour jeune public, s'appuie sur une recréation des personnages de la bande dessinée de Charles Schulz et de ce que Paravidino appelle leur "langage universel" pour mieux donner à entendre à un public international ce que des titres de scènes tels que "Politiques du travail", "Les médias contrôlent le monde" ou "Schengen, libre circulation des hommes et des marchandises" peuvent suggérer à un dramaturge ita- lien contemporain. Son éclectisme créateur, on le voit, ne se laisse pas séparer de sa volonté d'interroger l'époque, et cette curiosité à la fois esthétique et critique se retrouve dans le choix de ses maîtres. Paravidino, qui au cours de ses années de formation comme interprète a beaucoup étudié le cinéma, et plus particulièrement la comédie à l'italienne, se réclame en effet de l'humour d'Eduardo De Filippo, du sens diagnostique de Pinter - en qui il voit l'un des grands dénonciateurs de l'absurdité de nos vies quotidiennes -, mais aussi de l'économie elliptique de Jon Fosse, dont il admire l'art de bâtir par petites touches des atmosphères mystérieuses où tout, en fin de compte, semble baigner dans une surprenante clarté.

Au cours de ses années de formation au Teatro Stabile, Paravidino avait pris part à la fondation d'une compagnie qui s'était lancée dans les répétitions du Songe du nuit d'été. Le projet étant tombé à l'eau, les jeunes comédiens s'étaient retrouvés désoeuvrés à Rome, partageant à eux huit un appartement, bien décidés cependant à ne pas admettre leur échec en se repliant sur Gênes. Là-dessus, Paravidino repartit dans le nord, pour faire son service civil dans la province d'Alexandrie (de cette année où il sert comme ambulancier, il dira plus tard : "j'ai vu toute la dramaturgie de la terre"). A chacune de ses permissions, il retrouve ses amis dans la capitale, mais le groupe finit par se disperser - et Paravidino, en collaboration avec Giampiero Rappa, en tire la matière d'une pièce, Gabriele, qui raconte l'histoire de jeunes aspirants comédiens vivant à Rome dans le même appartement. De cette expérience du chômage, de la déception, de la relégation hors la vie jusqu'au coeur de la capitale, dira-t-on qu'elle fut fondatrice ? En tout cas, ce sens aigu de la vacuité dont témoignent la plupart des pièces de Paravidino, (et qui le rend si immédiatement compréhensible, de la Grande-Bretagne jusqu'à la Roumanie, à tant de jeunes Européens), ce sentiment concret du décentrement de l'existence, remontent à loin.

Le dramaturge est en effet originaire de Rocca Grimalda, village piémontais de moins de 1500 habitants, au fond d'une vallée plantée de vignobles où ses parents résident toujours. Dans un entretien avec Alessandro Tinterri réalisé en février 2007, Paravidino a confié que Rocca Grimalda restait l'un de ses sujets de prédilection, sur lequel il reste encore beaucoup à écrire, "car je pense qu'on ne l'a pas suffisamment raconté : on a raconté un village et une campagne qui n'existent plus, mais pas cette étrange cohabitation entre les étables avec leurs vaches, les cours avec les poules et les modèles esthétiques de la ville, médiatisés par les pubs de la télé.

Aujourd'hui Rocca Grimalda est un lieu qui a perdu ses références culturelles. J'aime appeler Rocca Grimalda et toute la région d'Ovada "la périphérie de New York", car les jeunes ne s'identifient pas à la campagne, mais ils se sentent culturellement à la périphérie de New York, c'est le modèle que les médias leur transmettent et dont leur façon de s'habiller témoigne. Le village comme noyau de gens qui se connaissent et qui se fréquentent existe toujours, mais en réalité il a explosé avec l'arrivée de la voiture, et les liens d'amitié se sont distendus, comme à Rome par exemple. Quand je reviens dans le nord pour aller voir des amis je me tape en moyenne 120 kilomètres par jour. Là il y a une jeunesse qui voyage, voyage, voyage... Pour un jeune, le monde change radicalement lorsqu'il a 18 ans, qu'il a son permis de conduire et qu'il entre dans le monde des adultes, lorsqu'il peut prendre la voiture et se taper des kilomètres et des kilomètres pour arriver à vivre sa périphérie de New York."

La Maladie de la famille M., couronné par le Prix Candoni-Arta Terme en 2000, a été créé en langue roumaine au Théâtre National de Timisoara en mars 2008. Le spectacle a été retenu dans la sélection du Kulturpreis Europa 2009, décerné par l'association allemande KulturForum Europa.
La localité anonyme qui sert de toile de fond à La Maladie de la famille M. répond à la description que fait Paravidino de ces lieux qui ont "explosé avec l'arrivée de la voiture". La didascalie initiale est on ne peut plus claire : située dans "un temps à cheval entre l'automne et l'hiver, un temps maussade, déprimant, évoluant parfois en pluie ou en neige", et dans une agglomération qui s'est développée, "comme dans le Far West ..., en bordure des routes nationales" - un de ces bourgs où le fracas du transit motorisé assiège en permanence la vie intime de chacun, et où l'automobiliste ne voit qu' "une entrave sur son parcours ou une simple transition d'un lieu à l'autre", -, La Maladie de la famille M. dresse le portrait collectif et tragique d'une famille ordinaire en suspendant pour ainsi dire le rythme imposé par la voiture, pour nous inviter à séjourner quelque temps auprès des habitants. Mais Afrim, à son tour, décale radicalement l'action, qu'il situe dans un sous-bois : du coup, ce qui pourrait n'apparaître que comme une chronique sociale de plus prend un relief poétique inattendu, portant à une nouvelle puissance la fantaisie et l'humanité du texte.

La Maladie de la famille M. de Fausto Paravidino mise en scène de Radu Afrim ; texte français Caroline Michel, version roumaine Alice Georgescu, décors & costumes Velica Panduru, lumière Lucian Moga. Avec Claudia Ieremia Marta, Malina Manovici Maria, Ion Rizea Luigi, Victor Manovici Fulvio, Colin Buzoianu Fabrizio, Eugen Jebeleanu Gianni. En roumain surtitré.
Informations pratiques
Ateliers Berthier    plan d'accès
Angle de la rue Suarès et du Bd Berthier - 75017 Paris (M° Porte de Clichy), tél. 01 44 85 40 88
Dates : du 12 au 21 juin 2009

tarif préférentiel pour nos internautes 22 € au lieu de 26 €
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La Maladie de la famille M. par Radu Afrim
Ateliers Berthier, jusqu'au 21 juin 2009 tarif préférentiel