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Publié le mercredi, 23 février 2022 à 14h13

La légende du roi Crabe au cinéma

Par Valérie Mochi

Un moment du film La légende du Roi Crabe

Tout a commencé lorsque Alessio Rigo de Righi & Matteo Zoppis, les deux jeunes réalisateurs de La légende du roi crabe (Re Granchio) ont rencontré par hasard un groupe de chasseurs dans une vallée perdue de Tuscie. Les récits des chasseurs sont à l’origine de leur cinéma, les paysans aux visages burinés se réunissent régulièrement pour se remémorer des histoires du passé, des légendes locales, et les deux réalisateurs qui les fréquentent depuis une dizaine d’année, s’inspirent de ces récits pour écrire chacun de leurs films. En 2013 ils tournent un premier court métrage, Belva nera puis un documentaire multi primé Il Solengo en 2015 et enfin ce long métrage de fiction La légende du roi crabe (Re Granchio).

Les chasseurs semblent s’amuser à raconter, chacun donne un détail différent, ils se contredisent, se regardent complices. Le duo de réalisateurs aussi est complice et à force de d’ajouts, de brouillage de pistes, un nouveau récit se dessine, le film emporte le spectateur dans une histoire surréaliste.

Celle de Luciano, un ivrogne du XIXème siècle, il est le fils rebelle d’un médecin de campagne, lunatique, de peu de paroles, hors normes pour les paysans de Vejano. Il traine son désespoir dans les paysages de campagne, trinque à la santé de la république et entre dans une colère noire lorsque le prince local installe un portail pour empêcher le passage des paysans et leurs troupeaux. Il est aussi amoureux de la belle Emma, une jeune femme du peuple, fière et peu disposée à se soumettre aux aristocrates qui l’emploient. Les réalisateurs composent avec leurs deux personnages de magnifiques tableaux de campagne, des scènes bucoliques, comme celle du lac, qui subliment leur amour.

Luciano est interprété par Gabriele Silli, artiste romain, peintre et sculpteur, tellement investi dans son rôle qu’il en devient le personnage, un vagabond barbu, cheveux hirsutes et regard de peintre. A travers ses yeux les metteurs en scène offrent au spectateur des images du quotidien semblables à des toiles, des études de mains, de visages, des compositions, des paysages, hommages à Léonard de Vinci, au Caravage. Encore une fois il est difficile de comprendre les interactions entre un acteur, vrai peintre à la ville, et des réalisateurs, esthètes influencés par la peinture italienne. Un travail de collaboration en harmonie avec l’atmosphère du film, étrange, décalé.

Emma, Maria Alexandra Lungu, rappelle les portraits des Madones baroques avec son visage d’une autre époque et sa couronne de fleurs. Elle incarne le rôle d’une jeune femme déterminée, malgré sa condition sociale, libre et rebelle comme Luciano, un amour simple et vrai. D’une intensité saisissante, les deux interprètes sont malheureusement rares au cinéma, G. Silli tourne avec La légende du roi crabe son premier film et M. A. Lungu son second, elle tenait le rôle de Gelsomina adolescente dans Les merveilles (Le meraviglie) d’Alice Rohrwacher en 2014.

La seconde partie du film se déroule dans une tout autre atmosphère, Luciano s’exile en Argentine après avoir brûlé le portail du Prince et par enchainement provoqué un drame terrible. Un récit fluctuant comme les pérégrinations de Luciano, et comme les histoires vraies des Italiens qui ont migré en Amérique du sud. Des aventures qui reviennent dans les familles restées en Italie et qui se transmettent de générations en générations, sans cesse développées, modifiées, embellies. Une tradition orale où l’imagination règne, changeante en fonction des personnalités de chaque narrateur.

Luciano, même barbe et même regard lointain, traverse l’Atlantique et se retrouve dans des paysages lunaires. Au gré de ses rencontres, il prend la place d’un prêtre, grand manteau noir et fusil en bandoulière et carte au trésor en poche. Il croise aussi des marins sans scrupule et forme une bande qui part à la recherche de l’or, guidée par un crabe. Avidité, cruauté, la conquête de l’ouest en Amérique du sud est plus extravagante qu’au Far West. Les réalisateurs ne se privent ni d’ironie ni de références cinématographiques, ils explorent le cinéma comme leur héros explore la Patagonie. Un duo à suivre.

« …nous partageons l’idée selon laquelle le cinéma d’auteur n’est pas un genre cinématographique en soi. Ce qui nous intéresse, comme auteurs, c’est d’explorer le cinéma de genre. Dans la partie italienne et dans la partie argentine, nous nous sommes amusés à revisiter des figures et des scènes typiques du western. Du western, nous plaît entre autres l’idée qu’un lieu très égaré, un village peut devenir le cœur d’une histoire mythique. C’est la force du récit. La Légende du Roi Crabe part d’un lieu minuscule, un gîte où se retrouvent des chasseurs. Mais pour arriver au bout de l’histoire, il faut aller au bout du monde, en Terre de feu. »

Informations pratiques
  • Au cinéma dès le 23 février 2022

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