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Publié le mercredi, 30 novembre 2016 à 09h49

Interview - Jean-Antoine Gili : « Marcello Mastroianni était un acteur caméléon et quelqu’un d’extrêmement séduisant »

Par Antoine Le Fur

Marcello Mastroianni dans une scène du film 8½

A l’occasion de la sortie de son ouvrage consacré au célèbre acteur italien (Marcello Mastroianni, Editions de la Martinière), rencontre avec le spécialiste du cinéma italien Jean-Antoine Gili afin d’évoquer la carrière du légendaire interprète de La Dolce Vita.

Jean Gili, c’est la première fois que vous consacrez un ouvrage à un comédien. Pourquoi donc Marcello Mastroianni en particulier ?

La raison est simple. Cela fera 20 ans au mois de décembre qu’il est décédé. C’est l’éditeur pour lequel j’avais fait un ouvrage sur l’histoire du cinéma italien (Le Cinéma Italien, aux Editions de la Martinière, 2011), qui a pensé qu’à l’approche de l’anniversaire de sa mort, c’était bien de lui consacrer un livre pour justement célébrer ses cinquante ans de carrière, qui commence en 1950 et se termine en 1996.

Peut-on dire que plus que n’importe quel autre acteur, Mastroianni est l’incarnation de ces fameuses « années de gloire du cinéma italien » ?

Mastroianni était cet acteur qui jouait en France, aux Etats-Unis, en Angleterre, en Grèce, en Russie, au Portugal… Dans le fond, je ne pense pas qu’il était destiné à devenir cet immense acteur. Il se forme au théâtre et il aurait pu y faire toute sa carrière.
Mais dans les années 1950, nous sommes dans une période où le cinéma italien est extrêmement actif et où on produit beaucoup de films. Dans mon livre, je souligne le fait qu’à cette époque, il ne joue pas de rôles mettant particulièrement en évidence son sex appeal. On le voit avec l’exemple du Pigeon de Mario Monicelli en 1958. Je ne sais pas si l’on se rend compte que l’année suivante, il tourne La Dolce Vita de Federico Fellini. Le film sort en 1960 en Italie. Mais le tournage a lieu en 1959. C’est donc l’année qui suit Le Pigeon.
Fellini veut un comédien passe-partout parce qu’il ne veut pas que ce soit un emblème de l’élégance, de la séduction et que ce soit le latin lover. Il y aura toujours entre Fellini et Mastroianni un rapport un peu Marcellino. Fellini aime Marcello parce qu’avec lui, il est très à l’aise et n’a pas besoin de prendre de précautions particulières et c’est là que j’ai l’impression que Mastroianni va révéler des capacités qu’on ne lui soupçonnait pas.

Qu’est ce que la génération d’acteurs dont est issu Marcello Mastroianni avec d’autres comédiens comme Vittorio Gassman, Sophia Loren ou Ugo Tognazzi, a-t-elle changé par rapport au cinéma que l’on faisait en Italie jusqu’ici ?

Il y a chez cette nouvelle génération d’acteurs italiens une sorte de capacité à se glisser dans tous les rôles, à jouer des personnages où ils peuvent apparaître antipathiques et sans trop se soucier de leur apparence physique ni de l’âge que l’on va leur donner dans le film. Marcello Mastroianni ne se minait pas de l’intérieur par le type d’interprétation qu’il donnait. Dès que les répliques étaient enregistrées et que les prises de vues étaient bonnes, il redevenait lui-même.

S’il est l’un des plus grands comédiens italiens, Marcello Mastroianni a également eu des liens très forts avec la France. N’a t’il donc pas représenté à une certaine époque, l’homme français de son temps comme il a pu incarner l’homme italien ancré dans son époque ?

Je ne pense pas qu’il ait pu représenter l’homme français. Il peut représenter l’homme moderne mais à partir du moment où c’est un homme moderne qui vient d’Italie, c’est à dire qui amène ce que l’on attache de l’idée de l’Italien, à savoir une personne élégante, incarnant la séduction et une certaine désinvolture.
Marcello Mastroianni peut être un modèle comportemental mais il ne sera pas un modèle comportemental en incarnant un français. C’est un acteur caméléon. C’est quelqu’un d’extrêmement séduisant.

Certains des rôles les plus marquants de Marcello Mastroianni sont tirés de ces fameuses collaborations avec Federico Fellini ou Sophia Loren. Qu’est ce que ces derniers ont pu apporter au jeu de l’acteur et à l’inverse, qu’a t’il pu, lui, leur apporter ?

Sophia Loren raconte que lorsqu’elle a tourné avec lui pour la première fois (Dommage que tu sois une canaille d’Alessandro Blasetti, 1954), c’était un acteur plus âgé qu’elle et qu’il avait une grande formation professionnelle puisqu’il avait fait plusieurs années de théâtre sous la direction de Luchino Visconti. Quand ils ont joué ensemble pour la première fois, Marcello Mastroianni, qui avait plus d’expérience qu’elle, l’a aidé sur le plateau notamment pour ses répliques et leurs échanges. Ensuite, quand on pense à Fellini, on a du mal à imaginer qu’après La Dolce Vita, lorsqu’il tourne Huit et Demi, il ne fasse pas appel à Mastroianni. Il y a de la part de Fellini, certainement, une attitude de sangsue. C’est à dire que Fellini se nourrit de Mastroianni. Les très grands acteurs sont les créatures des metteurs en scène et leurs modes de fonctionnements sont tels que ce sont eux qui nourrissent ensuite le metteur en scène.

Peu de gens le savent mais Marcello Mastroianni a eu une liaison pendant deux ans avec Faye Dunaway. Parlez-nous de cette relation singulière.

Je crois que Marcello Mastroianni a été très fortement et sincèrement amoureux de Faye Dunaway. Elle aurait voulu l’épouser et avoir des enfants. Marcello Mastroianni était marié et avait eu une enfant avec sa première femme. Peut-être en raison de sa foi catholique ou du poids de l’église, toujours est-il qu’il n’a pas voulu divorcer. Et Faye Dunaway, dans ces conditions, a préféré partir. C’est une relation qui a capoté par l’incapacité de Mastroianni à prendre des décisions. Faye Dunaway était sans doute une femme de caractère et quand elle a compris qu’elle n’obtiendrait jamais rien de l’acteur, elle en a tiré les conclusions.

Comme votre livre le montre, les derniers films de Marcello Mastroianni étaient davantage internationaux qu’italiens puisqu’on a pu le voir chez Raoul Ruiz, Agnès Varda, Manoel de Oliveira… Etait-ce un choix de sa part ou le cinéma italien post âge d’or ne l’intéressait-il plus ?

Peut-être que les propositions italiennes à cette époque sont moins riches et ne renouvellent pas comme il le voudrait son image et le type de rôles qu’il peut interpréter. En 1993, Federico Fellini disparaît et Mastroianni a encore des contacts de travail avec Ettore Scola, qui est d’ailleurs le réalisateur avec lequel il a la plus tourné.
Il faut faire entrer en ligne de compte une donnée privée. A cette époque, Mastroianni vit avec une ancienne attachée de presse et mannequin. Elle s’appelle Anna Maria Tato. Avec cette femme, Marcello Mastroianni vit entre Paris et Rome. Ils ne s’entendent pas très bien. Dans le fond, une partie des choix de Mastroianni, même si cela peut paraître contingent mais c’est probablement la vérité, de tourner hors d’Italie ou hors de France, résulte du désir de s’éloigner du contexte familial dans lequel il vit.

Quel est l’impact de Marcello Mastroianni sur le cinéma italien actuel ? Y a t’il par exemple des comédiens qui se réclament de son héritage ?

Pas vraiment. Quand on voit des comédiens parler de modèles, souvent les comédiens de théâtre en particulier, c’est plutôt vers Gian Maria Volonté qu’ils se réfèrent. Il n’y a pas de doute que Toni Servillo dans La Grande Bellezza et dans les autres films de Paolo Sorrentino, s’est inspiré de Marcello Mastroianni.
La délicatesse d’interprétation de Mastroianni n’était pas faite de tics ou de recettes qui puissent être transposables. Aujourd’hui, on peut difficilement se dire que l’on veut jouer de la même manière que Mastroianni.

Il n’y a donc pas un acteur italien qui pourrait être le « nouveau Mastroianni » ? Un peu comme Jean Dujardin qui serait en France, d’après certains journalistes, le « nouveau Belmondo ».

Non, on ne peut pas dire ça. Aujourd’hui, il y a de très bons acteurs italiens comme Valerio Mastandrea qui est le protagoniste du nouveau film de Marco Bellocchio, Fais de beaux rêves. Il y a des acteurs de grande qualité mais est ce qu’on peut dire qu’ils s’inspirent de Marcello Mastroianni ? Je ne crois pas. C’est aussi ce qui fait toute son originalité. C’est cette capacité à être lui-même dans tous les rôles qu’il a interprété, à s’y transformer complètement.

Si vous deviez ne retenir qu’un seul film de Marcello Mastroianni, lequel serait-ce ?

C’est une question à laquelle il est impossible de répondre. Mais s’il ne fallait ne retenir qu’un film, ce ne serait non pas La Dolce Vita mais Huit et Demi. Le mystère du personnage renvoie un peu au mystère de l’acteur. C’est peut-être parce que ces deux mystères se rejoignent que le film a une telle intensité.

Informations pratiques

Marcello Mastroianni de Jean-Antoine Gili, Editions de la Martinière, 2016, 35 €
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