Publié le mardi, 1 février 2022 à 16h46
Dillinger est mort de Marco Ferreri au cinéma
Le réalisateur Marco Ferreri rencontra pour la première fois son acteur principal Michel Piccoli, lors du tournage du film La Chamade d’Alain Cavalier (1968), il lui proposa de lire le scénario et Piccoli accepta immédiatement le rôle, puis ils devinrent amis et tournèrent beaucoup ensemble.
L’appartement de Piccoli, Glauco dans le film, qui sert décor, est celui de Mario Schifano, ami de Ferreri, peintre, réalisateur, musicien, principal figure du pop art à l’européenne. Il avait collaboré avec Ferreri pour le générique de son film l’Harem en 1967 et surtout, au début des années 60 il était parti à New York au bras de Anita Pallenberg, ils y ont fréquenté les plus grands artistes américains de l’époque. Dans le film elle interprète le rôle de la femme de Glauco et garde son prénom. La cuisine appartient à Ugo Tognazzi, grand ami de Ferreri aussi, mais il n’apparaitra pas dans Dillinger est mort. Annie Girardot, qui a déjà tourné Le mari de la femme à barbe (La donna scimmia) en 1964, est Sabina, la bonne. Enfin dernier élément de cette nuit d’insomnie, un pistolet, qui réapparaitra discrètement, dans La Semence de l'homme en 1969 avec Anne Wiazemsky et … Annie Girardot.
Séquence d’ouverture, Piccoli dans une usine, un collègue en blouse blanche lui montre un homme dans une cabine, enveloppé de fumée il porte un masque à gaz.
Le collègue : « regarde c’est ton masque ». Puis s’ensuit une longue lecture d’un texte qu’il a écrit : « … l’isolement dans une pièce qui ne doit pas communiquer avec l’extérieur parce qu’elle est remplie d’un gaz mortel, une pièce donc, où pour survivre il est nécessaire de porter un masque, rappelle énormément les conditions de vie de l’homme moderne »
Piccoli : « je ne veux plus dessiner ces objets »
Reprise de la lecture dans les bureaux, le seul moment du film qui fasse directement référence à l’époque, car en Italie comme en France, c’est la révolution de mai 68. La société explose, l’homme ne trouve plus sa place dans cette société de consommation que Ferreri dénonce souvent dans ses films. Jusque là il avait opté pour des scénarios construits sur le modèle de la narration classique pour critiquer le formalisme du mariage, l’exploitation de la femme ou le burn out du directeur d’entreprise. Avec Dillinger est mort, il rompt et extrémise en même temps la narration linéaire, le film se déroule en continu, une nuit et le matin suivant, dans un trois lieux, l’usine, la maison de Glauco en majeure partie et au bord de la mer.
Il rentre du boulot, le diner est prêt, sa femme a la migraine, elle reste alitée, son dîner froid ne lui fait pas envie, alors il décide de cuisiner. En cherchant les ingrédients dans un placard il trouve un objet enveloppé dans un journal. Le journal est ancien, un article de plusieurs pages relate la mort de l’ennemi public numéro un en 1934, Dillinger, tué par le FBI alors qu’il sortait d’un cinéma, l’objet est un vieux pistolet rouillé. Piccoli démonte l’arme, la trempe dans un bain d’huile tout en s’occupant de la préparation de son dîner, chaque geste est méticuleux pour les deux opérations qui se déroulent en parallèle.
Piccoli traine dans la maison, il se projette des films de vacances, s’amuse avec les images et son ombre projetée, remonte le pistolet, passe voir sa femme, s’amuse avec un faux serpent, passe voir la bonne, s’amuse avec elle dans une scène d’érotisme au miel et repeint le pistolet en rouge avec des pois blancs.
Piccoli ne parlant que très peu tout son jeu est physique, chaque geste est contrôlé, intérieur, il parle avec son corps, il est magistral. « Je suis tellement heureux d’avoir si bien réussi ce film (...) Dillinger est mort est le genre de films, qui dès le tournage, vous procure une jouissance extraordinaire de votre métier (...) Je suis toujours stupéfait de l’intelligence de Ferreri. Vous n’imaginez pas combien j’ai aimé travailler avec lui. Cela me réjouit de penser qu’un film comme Dillinger est mort existe. » Michel Piccoli
Un film proche du cinéma expérimental, une œuvre d’art pop, une folie.
« Je suis parti d’un court synopsis que j’ai développé en cours de tournage. Il y a très peu de dialogues, trente ou quarante paroles, je dis bien paroles. Peut-être convient-il d’utiliser le cinéma comme il a été inventé, de faire parler d’abord les images. Finalement les bruits sont bien plus importants que les dialogues. Ce qui comptait pour moi, c’était le rapport entre les objets et les personnages, la durée des gestes, garder une certaine distance par rapport à l’action. Le travail se faisait au jour le jour, par cette rencontre du personnage avec les objets dans cette espèce de petit musée des horreurs. Je suis mon propre décorateur, je réduis au strict minimum tout ce qui, extérieur au récit peut détourner l’attention. Le schématisme, dans cette perspective est une forme d’honnêteté, d’où cette prédominance du côté visuel, ce retour au cinéma muet. Le personnage se révèle par ses gestes dans les choses qu’il fait. La couleur sert à mettre en valeur les objets. » Marco Ferreri
Informations pratiques
- Au cinéma à partir du 2 février 2022
Jeu-concours des places à gagner réservé aux abonnés à notre lettre
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