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Publié le vendredi, 7 avril 2023 à 10h33

Carlo est sorti tout seul de Enzo Gianmaria Napolillo. Continuer à sourire

Par Murielle Hervé-Morier

Carlo est sorti tout seul de Enzo Gianmaria Napolillo - couverture

Le titre interpelle quand on sait que Carlo a 33 ans… De quoi s’interroger en effet sur ce qu’il y a d’extraordinaire pour un garçon qui a atteint l’âge du Christ à sortir seul. Comme un grand. On apprend donc que, depuis bien longtemps, l’intéressé s’est volontairement isolé. Ainsi, en dehors du cercle familial formé par son père, Anselmo, sa mère, Rita, et sa sœur, Giada, Carlo refuse tout contact. Et ne sort jamais seul. Par ailleurs, même avec ses proches, il se montre très parcimonieux. Avare de mots, par la force de l’habitude, l’intéressé n’interagit qu’au moyen de codes qui dépassent le seul langage. Alors, on continue de se poser des questions à propos des manies de Carlo, qui frôlent l’autisme. Sa vie est en effet rythmée par des petits rituels, des gestes répétitifs et sécurisants. C’est le genre à écouter de la musique en solitaire ou encore à marcher consciencieusement sur les bandes blanches du passage piéton. Sans déborder surtout. Avec le temps, brique après brique, Carlo a donc instauré entre lui et les autres un mur invisible. Une carapace qui le protège et le singularise.

Quel est le problème ? À quoi est due la phobie sociale du jeune homme ? Le récit alterne alors passé et présent pour remonter le fil de son parcours et arriver à l’élément déclencheur expliquant le pourquoi du comment. Les allers et retours dans les années 80 retracent la chronique d’une adolescence brisée. C’est en effet à cette époque que les racines de la souffrance ont insidieusement commencé à gagner du terrain jusqu’à tronquer la vie d’un adulte qui continue de porter sa croix. Quand Carlo, le « bûcheur », nourrissait une passion viscérale pour l’étude et les chiffres, qui ne l’a d’ailleurs jamais quitté. Il était alors la cible de l’habituelle brute de service qui s’amuse à intimider le monde. Par connivence ou lâcheté, ses camarades et, par ricochet, certains membres du corps enseignant, ont laissé s’épanouir le mal dans toute sa banalité.

Retour au présent. Parmi les temps forts de la journée, Carlo a coutume de petit-déjeuner au bar du coin en compagnie d’Anselmo. Et immuablement, son géniteur et lui s’en retournent ensuite dans le cocon du foyer. Un beau matin, une petite révolution bouleverse la routine avec un geste inattendu de la part de Leda, la nouvelle serveuse qui a une attention particulière envers Carlo. Un geste a priori anodin. Mais contre toute attente, le courant a l’air de passer entre des êtres qui, d’instinct, sentent avoir quelque chose en commun. Deux âmes sœurs qui devinent qu’envers et contre tout, un bout de chemin reste à accomplir.

Avec en filigrane le fléau du harcèlement scolaire, ce roman pointe du doigt ce que la douleur psychique a d’incommunicable et jusqu’où peuvent mener les non-dits couplés au sentiment d’impuissance. Un livre qui raconte aussi l’histoire d’une renaissance quand le moment est venu de se délester du poids trop lourd du passé parce que « les rêves sont de petits morceaux d’espoir, des messages en bouteille lancés dans la mer. »

Informations pratiques
  • Enzo Gianmaria Napolillo, Carlo est sorti tout seul (Carlo è uscito da solo), traduit de l’italien par Jacques Van Schoor, Éditions de l’Aube, 22 €