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Publié le mercredi, 13 mars 2024 à 09h17

Au fond de la mer, la vie est légère de Lucrezia Lerro. Le monde de Piero

Par Marie-Cécile Cadars

Lucrezia Lerro - photo Leonardo Cendamo

Piero, que tout le monde surnomme « Repacho » pour des raisons qu’il vous donnera, est malheureux, inadapté. Il ne travaille pas, n’a pas d’ami, il est marié, certes, mais ce n’est pas l’amour fou… il est si malheureux qu’il ne parle qu’à lui-même, il refait le monde dans sa tête, mélange le passé, le présent, fantasme son avenir… Un avenir où il prendrait sa revanche, où il vivrait avec Blondinette, où il aurait un travail, où il serait heureux…

Et puis, à force de parler, parfois à tort et à travers, on découvre un frère aimé, qui aurait pu aider Piero, avec lequel il aurait pu avoir une autre vie, ailleurs. Mais le ravin en a décidé autrement… On découvre un père, militaire, distant, froid, absent. Et surtout, on découvre une mère, déviante, monstrueuse, incestueuse. Le péché originel. Celle qui a tout détruit avant même de construire. Du fond de son esprit simplet, Piero sait que tout est de la faute de cette mère névrosée, mal aimée et mal aimante.

À moins que… Tout cela ne soit pas vraiment vrai ! Je me suis demandé tout au long de cette lecture dense et poétique, crue et innocente, si ce récit était réel, si Piero ne souffrait pas de paranoïa, de délire de persécution. Ce flot de paroles, incoercible, décousu, logorrhéique, ne serait-il pas le symptôme d’une folie douce dont la source serait la relation contre-nature à la mère ? Est-ce un rêve ? Un trouble ?

Ce monologue, litanie interminable de jérémiades, de rancœurs, en style oral, avec des tics de langage, des tournures familières, parfois drôle, souvent amer m’a rappelé celui de Holden Caulfield dans L’Attrape-coeurs de Salinger dans son lyrisme et son cynisme, lancé comme une balle au lecteur pour qu’il construise lui-même son propre sens. Je recommande ce roman hors norme à la traduction et à l’édition impeccables.

Informations pratiques
  • Lucrezia Lerro, Au fond de la mer, la vie est légère (Titre original: Sul fondo del mare c’è una vita leggera), traduit de l’italien par Murielle Hervé-Morier – Éditions L’Echarpe d’Iris, 17€