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Publié le mercredi, 20 octobre 2010 à 09h05

Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite ?

Par Stefano Palombari

Vu le battage médiatique autour de ce livre, je me suis dis en l'ouvrant : « Je vais lire quelque chose de différent et d'intéressant !». En le refermant, j'étais très déçu. Et aussi un peu surpris par l'aveuglement de certains médias. Mise à part la réponse au sous-titre, qui par ailleurs était en quelque sorte déjà incluse dans la question, il n'y a absolument rien de nouveau dans ce livre.

Les premières pages sont consacrées à la gauche actuelle qui ne serait pas en accord avec le Zeitgeist, l'esprit du temps, pour ceux qui ne pratiquent pas l'allemand. En d'autres termes, la gauche est « has been ». Ses idéaux sont obsolètes et poussiéreux. A ça s'ajoute aussi la tendance à épouser des « causes perdues, douteuses ou franchement inqualifiables », parmi lesquelles l'auteur place la cause palestinienne, qui pour lui n'a rien de gauche. Dépourvue de toute explication, son assertion n'a pas de sens et n'apporte rien de constructif au débat.

Un autre défaut de la gauche, d'après Raffaele Simone, est l'antiaméricanisme primaire. Ce point est particulièrement intéressant et touche l'idée même de cet ouvrage. Trois quarts du livre sont consacrés à la description de la société contemporaine et de ce qu'il appelle le « Monstre doux ». Pendant des pages et des pages le linguiste Raffaele Simone nous explique en détail en quoi consiste ce « monstre » : une société basée sur le loisir, « le fun », sur la consommation effrénée, l' « enfantisation » provoquée par la télévision qui est aussi responsable de l'érosion de la barrière entre le réel et la fiction (« la télévision a tué lé réel en commettant un crime parfait »)... pour ne citer que les aspects principaux de ce pouvoir enveloppant qui contrôle tout et frustre l'envie même du changement.

Pour donner plus de force à ses arguments, Simone cite Tocqueville, très à la mode en Italie - pendant les dix dernières années les hommes politiques de la gauche italienne ont cité Tocqueville au moins autant qu'ils le faisaient avec Marx une trentaine d'années plus tôt -. L'auteur nous met au courant qu'il y a presque deux-cents ans, dans De la démocratie en Amérique, Tocqueville avait déjà tout compris. Dans sa « prédiction », il donne une description du monde actuel prisonnier du « Monstre doux ». Ce que Raffele Simone oublie de préciser, c'est que Tocqueville a pu prédire les maux du monde d'aujourd'hui en s'appuyant sur ce qu'il a vu en Amérique. La jeune démocratie de l'époque portait déjà les germes des dérives actuelles.

La contradiction des critiques de Simone est flagrante lorsque en détaillant les caractéristiques de ce monstre moderne nous nous rendons compte que ce ne sont ni plus ni moins que les éléments fondateurs de la société américaine. L'american way of life n'est rien d'autre que notre « monstre doux ». Les éléments qui avaient permis à Tocqueville de prédire il y a presque deux siècles l'avenir de la société américaine au fil des années ont traversé l'Atlantique, ont niché chez nous, se sont reproduits et ont imbibé la culture européenne.

Tout ceci rend vraiment incompréhensible les cris d'enthousiasme autour de cet ouvrage. Le livre n'apporte en réalité aucune ébauche de réflexion sur la voie à prendre pour reformer la gauche et vaincre le « Monstre doux ». Il se limite à présenter une liste (comme celle de Leporello) de critiques stériles, nullement argumentées, aux attitudes des partis de la gauche européenne d'aujourd'hui et une description de l'américanisation de notre société qui rend difficile toute réaction et tout changement. Dommage, il serait temps qu'un texte fort et percutant fasse bouger les choses et provoque enfin un débat fécond sur l'avenir de la gauche.

Informations pratiques
Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite ?
Auteur : Raffaele Simone
Traducteur : Katia Bienvenu
Éditeur : Gallimard
Prix : 17,50 €
Parution : octobre 2010

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Le Monstre doux - Couverture
Gallimard, octobre 2010, 17,50 €