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Publié le samedi, 24 décembre 2011 à 16h50

Au nom du doute

Par Emilie Voisin

C’est un regard à la fois sans complaisance que Alice Rohrwacher porte sur l’Église et très doux, lorsque la caméra se pose sur le visage de la protagoniste Marta-Yile Vianelo. Marta est une adolescente de treize ans qui, après avoir grandi en Suisse, revient avec sa mère et sa grande sœur sur sa terre natale, Reggio Calabria.

À travers un jeu de regards, souvent en retrait mais parfois très proches – par le biais d’une caméra subjective - la réalisatrice se met à la hauteur de Marta. Et c’est par les yeux de la jeune fille que le spectateur découvre une communauté d’adultes en perte d’identité, qui se cache derrière une religion de façade, faite de gestes et de mots vides de sens, parfois corrompue : le personnage très ambigu du prêtre Don Mario, propriétaire du logement de ses ouailles et à la solde d’un politique. Il y aussi l’excellente actrice (à dire vrai non professionnelle car elle est buraliste !) Pasqualina Scuncia, interprétant une professeur de catéchisme qui se confronte à des enfants ennuyés, sans aucune conviction pour leur confirmation, mais qu’elle essaie de motiver par des quiz sur la religion et des chansons aux paroles simplistes mais à la mode (« je me branche sur Dieu, c’est la bonne fréquence »).

À travers les scènes de la vie quotidienne, la réalisatrice nous montre donc, sans jamais juger, un Mezzogiorno loin des clichés, abîmé, sale, peuplé de gens simples, parfois rustres, très attachés à l’Église et surtout à son folklore : procession et chants nocturnes, visite de l’évêque au son de la fanfare, fêtes de confirmation où les « petites vierges » dansent sur une - effroyable - musique commerciale intitulée « Il ballo della casalinga (la danse de la mère au foyer) ».

Et Marta, elle-même en âge de faire sa confirmation, qui doit décider si intégrer ou non ce monde… un monde auquel elle se confrontera tout au long du film, entre attraction et répulsion, soumission et rébellion. Un monde auquel elle restera étrangère – de par sa seule blondeur - affichant un air circonspect et mutique.

En brossant le portrait d’une adolescente à la recherche de sa place en ce monde, de son "corps céleste", Alice Rohrwacher pose la question de la foi et de comment la transmettre au XXIème siècle.

Interview de Alice Rohrwacher par Émilie Voisin
Une scène du film Corpo celeste
Critique du film Corpo celeste