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Publié le vendredi, 12 novembre 2010 à 14h04

Les Ailes de plomb de Adriano Sofri

Par Stefano Palombari

Adriano Sofri, ancien activiste d’extrême gauche, journaliste, prisonnier, intellectuel reconnu, est aussi un grand écrivain. Sous prétexte d’expliquer à une jeune fille de 20 ans ce qui s’est passé la nuit où Pinelli est mort, il délivre, de façon discrète certes et détournée, sa version des faits. A une première lecture, on pourrait croire le contraire. Le lecteur a l’impression désagréable qu’a la fin du livre, il n’en sait pas plus sur les causes de la mort de l’anarchiste Giuseppe Pinelli qu’avant d’en entamer la lecture. A la question « que s’est-il passé la nuit où Pinelli est tombé du quatrième étage de la préfecture de police de Milan » la réponse de l’auteur, dans le chapitre conclusif, est « Je n’en sais rien ».

Mais alors pourquoi consacrer plus de 200 pages à la mort de Pinelli si à la fin l’auteur n’arrête aucune hypothèse ? En réalité, il faut bien lire entre les lignes de ce livre. Adriano Sofri a été condamné pour le meurtre du commissaire Calabresi, celui qui a été tout de suite considéré comme responsable, sinon matériel du moins moral, de la mort de Pinelli. Ici ce n’est guère le lieu pour parler des procès faits à Sofri (bien sept), qui n’a jamais cessé de clamer son innocence, sur lesquels on trouve une vaste bibliographie. Je me limiterai à citer l’excellente émission que lui a consacrée Patrick Pesnot sur France Inter.

L’auteur, condamné à vingt ans de réclusion en tant que commanditaire du meurtre du commissaire, doit donc faire très attention à ce qu’il écrit. Il se révèle un vrai maître dans la matière. Il prétend, puis, tout de suite, nuance, lime, explique, relativise, il arrive jusqu’à s’excuser auprès de la famille Calabresi pour le ton des articles de son journal Lotta Continua, à l’époque des faits.

Sofri trace tout d’abord un portrait minutieux de Pinelli. Un homme droit, équilibré, avec une idée de l’anarchie incompatible avec la violence. Ce qui le distingue de Pietro Valpreda, dont les traits sont moins nets et qui flirte volontiers avec les explosifs.

Valpreda et Pinelli ne s’apprécient guère. Ce qui annule d’emblée l’hypothèse du suicide par cause d’aveux de Valpreda. Le commissaire Calabresi a tenté un coup de bluff avec Pinelli en lui communicant que Valpreda avait avoué avoir posé la bombe de la Piazza Fontana (ce qui était faux). Pinelli se serait alors jeté par la fenêtre en criant « c’est la fin de l’anarchie ». Mais Sofri va bien au-delà. Il démontre que le suicide est une hypothèse à exclure. En rejoignant ainsi les résultats de l’enquête menée en 1974 par le juge D’Ambrosio.

Les conclusions de Gerardo D’Ambrosio font état d’une chute causée par un « malaise actif ». Or, Sofri trouve cette idée encore plus risible que celle du suicide. Pour ce faire, il s’appuie sur le rapport de plusieurs experts. Un malaise ne peut pas avoir comme conséquence le saut au-delà de la rambarde haute de 90 cm. Plaçons les choses dans leur contexte. Lors de son dernier interrogatoire, Giuseppe Pinelli était au poste de police depuis plus de 3 jours. Il est tombé dans la nuit entre le 15 et le 16 décembre 1969 vers minuit et il était là depuis le 12 décembre. Ce qui est totalement illégal.

Les policiers ont donc déclaré que Pinelli était là de son plein gré (sic !) du 12 au 14 décembre et seulement après il a été placé en grade à vue. Après plus de trois jours d’interrogatoire sans aucune avancée, les policiers devaient commencer à être nerveux. Que peut-il s’être passé au juste si l’on exclue la thèse du suicide et celle du malaise ?

L’auteur met en lumière aussi d’autres éléments étranges. Après la chute de Pinelli aucun des policiers présents et ils étaient nombreux (Calabresi, Allegra, Panessa, Mucilli, Caracuta, Mainardi) ne s’est précipité dans la cour. Leur première déposition sera étonnamment concordante, au mot prêt. Et puis il y a le mystère de la chaussure. Une dès chaussures serait restée dans la main d’un policier, qui « a tenté de le rattraper ». D’après certains elle était par terre à côté du corps. Mais Pinelli est arrivé à l’hôpital avec les deux chaussures, les siennes ? Un autre mystère dans le mystère.

Les ailes de plomb, en italien, La notte che Pinelli, La nuit que Pinelli (d’après moi bien plus évocateur), est un livre qu’il faut lire avec beaucoup d’attention. Les conclusions, les certitudes de l’auteur sont bien là, mais soigneusement cachées, noyées dans les pirouettes diplomatiques, les formules de politesse, diverses et variées, à l’égard de la famille Calabresi. Il n’ose jamais critiquer les ouvrages écrits sur le sujet par la veuve et le fils du commissaire. Par ailleurs, il y a deux ans, la parution en France du livre de Mario Calabresi, Sortir de la nuit, avait été instrumentalisée par certains médias.

Informations pratiques
Les Ailes de plomb
Auteur : Adriano Sofri
Traducteur : Philippe Audegean et Jean-Claude Zancarini
Éditeur : Verdier
Prix : 19 €
Parution : novembre 2010

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Les Ailes de plomb - Couverture
Verdier, novembre 2010, 19 €