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Publié le mardi, 2 octobre 2012 à 22h08

Never give up!

Par Emilie Voisin

« N’abandonne jamais ! », c’est la maxime que répète à tout bout de champ Enzo, lorsqu’il signe des autographes à des fans surexcités, avant de s’envoler en hélicoptère. Enzo n’est ni acteur, ni chanteur mais encore mieux : c’est un pur produit de la télé, ex-participant d’une célébrissime émission de télé-réalité en Italie, Grande Fratello (l’équivalent de notre Loft Story national et dire que les Italiens en sont à leur 12ème saison !).

Et Enzo - qui se la joue star américaine alors qu’il ne fait finalement « que » le tour des boîtes et des mariages de province – devient le mythe, l’obsession de Luciano : participer à l’émission et devenir célèbre comme lui!

Luciano (interprété par le génial Aniello Arena, qui dans la vie a passé vingt ans derrière les barreaux) vit dans un quartier populaire de Naples, il est père de trois enfants, heureusement marié avec Maria, joyeusement entouré d’oncles, tantes et cousins et propriétaire d’une petite poissonnerie sur le marché du coin ; il a même organisé une petite combine (à la napolitaine !) pour finir les fins de mois. Une vie somme toute pas si mal… que demander de plus ?

Pour faire plaisir à ses enfants, fans de Grande Fratello, il participe au casting. Dès lors, son éventuelle entrée dans la « maison » devient une obsession : d’abord l’attente du fameux « coup de fil » qui changera sa vie, puis la paranoïa de se sentir observé, jugé dans ses moindres gestes (d’où des actes de générosité invraisemblables !), il finit par tout lâcher, tout vendre et passer ses journées devant la télé puisque l’émission a commencé (sans lui mais il y croit toujours).

On va donc suivre sa lente et pernicieuse descente dans le monde de l’imagination et des rêves ou comment détruire toute une vie au nom d’un besoin qui se révèle vital : celui de reconnaissance, d’exister aux yeux des autres.

Matteo Garrone signe là une comédie dramatique, une sorte de fable très ancrée dans le réel (il parle d’ailleurs de « réalisme magique »). En reprenant des éléments dignes d’un conte de fée – une musique et un brouillard mystérieux en début et fin de film ; un carrosse doré digne de Cendrillon déposant des mariés dans une salle de cérémonie rococo (le comble du kitsch !) ; Luciano qui finit par ressembler de plus en plus à un Pinocchio moderne, faisant une fixette sur un drôle de criquet (l’avatar de Jiminy Cricket ?) – c’est comme si le réalisateur prenait ses distances pour dresser encore plus justement le tableau d’un certaine réalité italienne (avec ici en plus le « folklore » napolitain » !) : celle de « l’Italien moyen », son quotidien, ses aspirations et sa télé (réalité).

Car c’est bien la télé et surtout ce qu’elle véhicule dans nos sociétés modernes, l’autre protagoniste du film. Même si Garrone ne voulait pas « tomber dans la dénonciation moralisatrice », c’est un constat bien amer qu’il nous propose : comment une partie du pays rêve de s’évader de sa propre réalité (qui n’est pas si déprimante), en mettant tout en œuvre (surtout le pire !) pour « rentrer » dans la télé et ne pouvoir se sentir vivant que sous la lumière des projecteurs.

aniello arena acteur dans le film de matteo garrone reality
Critique du film Reality