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Publié le jeudi, 30 octobre 2008 à 14h59

Mariolina Venezia, J’ai vécu mille ans

Par Elisa Torretta

Voilà un roman qui, sur le prototype de la saga familiale, fait découvrir une région et un monde peu connus, même par les Italiens. On se trouve à Grottole, un minuscule village de la Basilicata, région coincée entre la Calabre et les Pouilles. Ici se déroulent les aventures quotidiennes et toujours étonnantes de la famille Falcone, depuis l'Unité de l’Italie, en 1861, jusqu’en 1989.
Cinq générations auxquelles la destinée donne et prends avec la même intensité, de la richesse à la famine, en passant par les scandales publics et les tragédies personnelles.

Tout commence avec Don Falcone, le seigneur du pays, et sa maîtresse Concetta, paysanne qu’il épouse à condition qu’elle lui donne un enfant mâle. Mais, contre toutes apparences, c’est Concetta qui apporte force et assurance à son homme, tourmenté par la peur de la mort.
Concetta est seulement la première d’une longue file de femmes résolues. Quelle que soit la situation, elles ne sont que des femmes et bien que la société les mette en marge, elles seront toujours à l’origine des décisions importantes, celles qui transmettent la chaleur et les connaissances, et donc qui donnent identité à la famille.

La descendance de Concetta avance sur les pas déjà tracés par les ancêtres et, bien sûr, sur les déviations, qui involontairement bouleversent l’immobilité des coutumes.
Il y a une première jeune-fille qui s’échappe avec le vicaire. Une autre qui est envoyée dans un collège pour demoiselles de bonne famille et qui voudrait s’inscrire à l’université. Le fils qui adhère au Parti communiste et rêve de secouer l’indolence et la superstition des villageois.
Les souvenirs sont finalement recueillis et racontés par Gioia, la dernière petite-fille : elle, la seule à désirer ouvertement la rébellion, se réfugie à Paris pour mener une vie « différente ». Sa fuite se soldera par un retour désastreux, mais aura comme conséquence positive une redécouverte de ses origines.

La famille Falcone n’est pas, bien sûr, la seule protagoniste, mais aussi le village tout entier, ses habitants et ses traditions ancestrales. Chacun offre des histoires qui s’entrelacent les unes avec les autres et qui souvent sont renversées par les événements historiques.
Les personnages, parfois perdus dans des situations trop grandes pour eux, montrent les revirements de l’âme collective, face au passage des anciennes convictions à une modernité incertaine.
Les traditions cherchent à perdurer le plus possible à travers les générations, mais l’Italie change : de paysanne elle devient bourgeoise, et les gens fuient des campagnes vers les villes. Ce ne sont pas des révolutions soudaines, mais plutôt des mutations inévitables.

Il y a aussi la juste attention des événements qui sont souvent inexplorés dans les livres d’histoire italiens. Par exemple, la rébellion des agriculteurs méridionaux après l’Unité et la transformation de quelques-uns d’entre eux en brigands, ou les luttes pour la terre après la Deuxième Guerre Mondiale, qui se convertissent en expériences réussies de coopératives dans certaines provinces d’Italie, mais qui n’aboutissent pas dans cette terre méfiante envers les nouveautés.

L’auteur, qui est aussi documentaliste, reconstruit avec passion et patience les habitudes d’un monde qui reste comme une légende dans les souvenirs des personnes âgées. Son amour et son respect pour sa terre natale, nous offrent des pages très intenses sur la culture et le paysage lucaniens, sans jamais glisser dans le folklore ou dans les clichés.
La couleur vivante du ciel, l’aridité des collines, les rues pierreuses des villages, l’humanité qui avance difficilement : tout est crayonné avec la poésie et la spontanéité des dessins d’enfants.

Quand on arrive aux mémoires beaucoup plus récentes des changements dans les années 60 et 70, le village de Grottole reste toujours un point fixe dans les chambardements de l’époque. Mais les faits se succèdent plus vite et sans la même finesse dans les détails. La fin précipitée est peut-être un des rares défauts de cette œuvre : il donne un coup de frein brusque à un long voyage très agréable.

Le livre a été une des surprises éditoriales de l’année passée en Italie, où il a reçu le prestigieux Prix Campiello. Une occasion pour plonger dans un morceau inédit d’Italie, à travers un point de vue original et hors des lieux communs.

Informations pratiques
J’ai vécu mille ans
Auteur : Mariolina Venezia
Éditeur : Robert Laffont
Traducteur : Nathalie Bauer
Prix : 20 €
Parution : septembre 2008

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J’ai vécu mille ans
Robert Laffont, septembre 2008, 20 €