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Publié le jeudi, 10 avril 2014 à 09h07

Fabrizio Gatti, Au nom de la mafia

Par Walter Galvani

Au nom de la mafia - couverture

Le lecteur capable d’aller au-delà de la couverture légèrement racoleuse du dernier ouvrage de Fabrizio Gatti découvrira que ce dernier n’est pas le genre de journaliste qui se contente de fréquenter les dîners en ville ni de courir les conférences de presse. Il aime se frotter à la réalité la plus âpre. Après avoir partagé le sort de ceux qui risquent leur vie pour venir travailler en Europe dans Bilal, sur la route des clandestins, dans Au nom de la mafia, récemment paru aux éditions Liana Levi, il revient sur les “années de la peste” (titre original de l’ouvrage paru en Italie), ces années 1990 au cours desquelles l’Etat italien semble avoir voulu livrer une lutte générale contre les organisations mafieuses (dans le titre français le terme “mafia” semble surtout désigner toutes les sociétés criminelles de façon globale c’est-à-dire aussi bien la camorra que la n’drangheta). L’ouvrage raconte l’échec de ce combat qu’il a pu suivre de près en tant que journaliste.

Le récit joue sur plusieurs registres: le roman, l’auto-fiction, le témoignage, la narration historique, l’analyse et la réflexion sans que cela nuise à son unité. On suit d’une part le récit à la première personne d’un membre de cette “mafia” de Milan qui, à la suite de la mort de la plupart des ses amis exécutés par un groupe rival, à la suite également de son emprisonnement, décide de passer dans le camp des “repentis”. On comprend ainsi ce qui a pu animer certains à vouloir collaborer avec les autorités. On vit de l’intérieur la prise de conscience par ce personnage, Rocco, de l'absurdité d’une violence débridée, le conflit difficilement surmonté entre l’éthos mafieux et l’amitié, avec, à l’horizon, la possibilité d’une forme de rédemption dans laquelle l’amour et la religion jouent leur rôle.

Mais le récit de F. Gatti n’est pas une idylle, loin de là. Non seulement parce qu’il y a des moments d’une grande violence ou des exemples d’une lâcheté révoltante, qui tiennent le lecteur en haleine. Mais surtout parce que la rédemption finale n’a pas lieu. Le délinquant n’a d’autre issue que la déchéance. Etait-ce joué d’avance ? Nullement. L’auteur met clairement en lumière les circonstances qui conduisent à la faillite de la lutte contre les organisations mafieuses, la veulerie et l’incurie des autorités judiciaires et politiques qui, après avoir exploité le repenti, renoncent à la lutte et finissent par l’abandonner à son sort. Sans protection, sans programme de réinsertion sociale, Rocco n’a d’autre choix que le retour désenchanté à ce qu’il a voulu quitter. Mais il n’est pas le seul à subir cet échec. Fabrizio Gatti en donnant la parole à des individus souligne qu’il n’y a pas de fatalité dans cette situation mais des choix et des responsabilités, politiques et moraux jusqu’au sommet de l’Etat. Il rappelle le cas de Pietro Lo Sicco, avocat d’affaires, qui après avoir défendu des mafieux à Palerme dans un procès pour construction illégale est élu en 1994 président du Sénat.

Par-delà la seule histoire de Rocco ou l’évocation complaisante de la criminalité, Fabrizio Gatti raconte comment, suite aux nombreux attentats des années 1990 commis par la “mafia”, l’Etat abandonne la lutte. L’amertume domine dans ce récit sans temps mort. L’échec personnel de Rocco est aussi celui du policier qui l’a arrêté, des magistrats qui l’ont condamné et du journaliste qui a tenté de donner un sens à son histoire personnelle. Cet immense gâchis est personnifié par les victimes innocentes de ces attentats, cette mère de famille et ses deux fillettes dont la voiture a explosé en même temps que celle du juge Borsellino. L’attentat les a littéralement pulvérisées. Ces morts n’ont d’autre sépulture que ce récit amer d’une lutte sans grand espoir.

Informations pratiques

Au nom de la mafia
Auteur : Fabrizio Gatti, traduction Jean-Luc Defromont.
Éditions Liana Levi 22 €
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