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Publié le mardi, 13 mars 2012 à 23h35

À la recherche d'un nouveau monde

Par Emilie Voisin

La « terre ferme » qu’annonce le titre, n’existe pas. L’eau est omniprésente, elle remplit tout: les images, les esprits, les cœurs.

Dans le cinéma d’Emanuele Crialese, la mer a souvent une place à part entière, tel un personnage. Elle est souvent synonyme de déracinement, d’exode mais aussi de réconfort, de magie et de jours meilleurs. Dans Terraferma, elle est tour à tour beauté, rêve, cauchemar et angoisses.

L’autre vedette ici, c’est la magnifique île de Linosa (et non pas Lampedusa qui est l’île de Respiro). Aux allures de paradis, on assiste progressivement à sa contamination par le monde ou tout du moins par un monde désespéré : d’abord des morceaux de barque près des côtes, puis des détritus, pour arriver à cette scène terrible des corps d’immigrés échoués sur la plage où les touristes sirotent des mojito.

De terre promise, elle devient maudite, comme si elle retenait prisonniers les personnages du film : Sara l’Africaine, secourue en mer alors qu’elle veut rejoindre le continent dans l’espoir d’une vie meilleure ; Giulietta, ni vraiment d’ici, ni de là-bas, rêve aussi de partir pour offrir un futur à son fils, Filippo, qui lui vit au jour le jour les bonheurs simples de l’île ; et Ernesto, le grand-père, irrémédiablement lié à sa terre, sa mer, son bateau, son mode de vie.

Le film, profondément humain, touche l’intime, s'insinue dans les relations familiales, les sentiments et par ce biais le réalisateur soulève de nombreuses questions politiques, sociales et économiques fondamentales. Mais il offre peu de réponses et laisse le spectateur et ses personnages se débattre dans une situation inextricable.

D’ailleurs chaque rôle est en quelque sorte une composante de ce tableau, qui pourrait sembler caricatural mais qui reflète au contraire la complexité des problèmes liés à l’immigration et à l’insularité.

D’un côté, Ernesto et les pêcheurs qui n’arrivent plus à vivre de leur métier: ils gagneraient plus à détruire leurs bateaux en échange de subventions de l’État et à laisser mourir les clandestins plutôt que de les aider comme le veut le droit imprescriptible de la mer.

De l’autre, les « carabinieri » qui sanctionnent ceux qui sauvent des vies, pour incitation à l’immigration clandestine et les touristes, devenus l’unique gagne-pain et qu’il faut préserver pour qu’ils reviennent. Au milieu, toujours borderline, fluctuants entre tradition et modernité, solidarité et individualisme, Filippo et sa mère Giulietta agissent selon leurs cœurs et consciences.

Les acteurs sont tous d’une justesse époustouflante : Filippo/Filippo Pucillo - qui a débuté dans Respiro a neuf ans - se confronte à ce monde de grands, entre naïveté, colère et générosité ; Giulietta/Donatella Finocchiaro, en archétype de la femme méditerranéenne, forte, obstinée et sensuelle ; Ernesto/Mimmo Cuticchio, qui pratique l’art de la pêche et perpétue la tradition ancestrale comme, à la vie, celle du théâtre des marionnettes siciliennes.

Quant à Giuseppe Fiorello (frère du fameux comique Fiorello), il est tout simplement jubilatoire dans sa caricature de GO de Club Med. Même la « non-actrice » Timnit T. dont s‘inspire le film (elle vit maintenant aux Pays-Bas et attend son premier enfant) est magnifique, fière comme une reine.

Le film est construit sur le contraste, l’opposition : des couleurs qui saturent l ‘écran - la lumière blanche du soleil, le bleu turquoise de la mer, le noir du sol volcanique - à la terre ferme, perdue au milieu de toute cette eau : dans le premier et le dernier plan, l’horizon n’existe plus... Loi de la mer contre loi étatique, ouverture contre fermeture (des frontières, des esprits), égoïsme contre générosité, labeur des pêcheurs contre tourisme insouciant.

Terraferma n’est pas fait de mots mais d’actes : parfois discutables (qu’aurions-nous fait à leur place ?), souvent généreux mais toujours authentiques… comme la rencontre entre Emanuele Crialese et Timnit T. qui a donné naissance à ce film, qui parle d’immigration mais surtout de la recherche de sa propre terre ferme et du meilleur pour ses enfants.

Interview de Emanuele Crialese par Émilie Voisin
Filippo et Sara dans le film de Crialese, Terraferma
Critique du film Terraferma