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Publié le samedi, 3 juillet 2010 à 12h12

Mille neuf cent septante-trois de Massimo Furlan au Festival d'Avignon

Par Rédaction

Mille neuf cent septante-trois est une expérience scénique de la "reprise", qui recompose la trame littérale d'un événement, la rapproche du souvenir forcément déformant que l'artiste, alors enfant, en a conservé et le questionne avec la distance de l'essayiste et du chercheur en sciences humaines. Il s'agit pour Massimo Furlan de refaire un programme télévisuel au plus juste, comme s'il reconstituait une archive. Une heure vingt d'une émission d'avril 1973  : le concours Eurovision de la chanson.

Les candidats finlandais, monégasque, espagnol, belges, portugais, italien se succèdent, donnant le meilleur d'eux-mêmes - l'Eurovision, en ce temps-là, proposait ce que l'Europe faisait de mieux en matière de variétés -, jusqu'à ce que vienne le Suisse Patrick Juvet. « Cette prestation me stupéfia, témoigne Massimo Furlan. Un jeune homme souriant, blond, grand, aux cheveux longs, il chantait et semblait tellement à l'aise et heureux. Pourtant il était suisse. » Sur scène, Massimo Furlan refait tout : il interprète les chansons, il endosse les costumes des concurrents de l'époque, il retrouve les coiffures, il fait réécouter les commentaires et voir la prestation de la speakerine de la télévision luxembourgeoise, Helga Guitton, magnifique ce soir-là dans sa robe bleu azur.

Mais Massimo Furlan, ou plutôt la créature qu'il convoque pour l'occasion, Pino Tozzi, est d'une certaine manière incompétent : il ne parle ni portugais ni finlandais, ne chante pas très bien, même s'il fait de son mieux, après de nombreuses répétitions. Rigoureuse et extrêmement drôle, son inaptitude est vite émouvante. Car Massimo Furlan ne se moque pas mais réincarne, à trente-sept ans de distance, un concours devenu un mythe collectif tout en restant pour lui un événement personnel.

Sa mémoire intime croise ainsi la mémoire populaire, et suscite le commentaire érudit de savants. Le destin de cet enfant devenu grand se mêle à l'histoire de la musique, à celle de la télévision, des vêtements, de la technologie, du divertissement, et à l'histoire tout court de bon nombre des spectateurs. Tout, bien sûr, tient ici dans l'écart entre l'archive et le jeu, le souvenir et la réalité, l'oubli et la mémoire, le vrai et le faux.

« Quand j'étais petit, je nouais un mouchoir autour de mon cou et, en pyjama, je me jetais sur le lit en pensant que j'étais Superman. Et quand je jouais au foot, c'était dans ma chambre, où je marquais les plus beaux buts du monde face à mon poste radio. »

De ses souvenirs d'enfant, Massimo Furlan fait des spectacles où se mêlent avec esprit et facétie le kitsch et le sacré, l'humour, la philosophie et la poésie. Qu'il rejoue, seul et sans ballon, la demi-finale France-Allemagne du Mondial de foot 82 sur la véritable pelouse du Parc des Princes (Numéro 10), ou qu'il revête la panoplie d'un super héros dans (love story) Superman, c'est la biographie qui est au centre de son travail.

Toutes ses créations puisent leur source dans son histoire personnelle : celle d'un enfant de parents italiens, né en Suisse, celle d'un adolescent comme les autres. Une mémoire intime qui croise celle d'une génération et touche au sentiment collectif, que Massimo Furlan fait renaître en lui prêtant son corps, en prolongeant des images nées dans l'imaginaire de chacun. Oser des paris impossibles et en tirer des moments tout à la fois confondants et bouleversants de vérité : là réside la force de cet artiste et de son univers, où le drôle est toujours lesté de gravité.

Au Festival d'Avignon, Massimo Furlan a déjà créé un Sujets à vif en 2008, intitulé Chanteur plutôt qu'acteur : une forme courte où il brouillait les pistes en mêlant faux artistes associés, vrai chanteur et vrais philosophes pour une série de débats piégés, mais sérieusement alimentés, sur la filiation.

Salle Benoît-XII du 10 au 14 juillet 2010 Spécial festival d'Avignon