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Publié le mercredi, 13 juin 2012 à 09h30

Poésie à Chioggia

Par Emilie Voisin

Des lanternes de papier, des bougies qui flottent sur l’eau… dans une baignoire d’une salle de bains à Rome. C’est une antique tradition chinoise que Shun Li tente tant bien que mal de respecter chaque année, en honorant la mémoire d’un célèbre poète.

La jeune femme travaille pour payer son voyage de son pays natal vers l’Italie mais surtout pour faire venir son fils resté là-bas. Les ordres arrivent de "là-haut" : pas question de discuter, on obéit. De Rome, on l’envoie donc au nord, à Chioggia, la "petite Venise", toute aussi belle mais plus pittoresque, les touristes en moins, les pêcheurs en plus.

Auparavant couturière dans un atelier textile, Shun Li devient serveuse dans un bar sur le port. Pêcheurs, retraités, chômeurs, ce sont surtout des hommes qui fréquentent ce lieu, peu habitués aux accents et visages "différents". Bepi le poète, Coppe, L’avocat, Devis, Baffo…surnoms improbables de Vénitiens pure souche, à l’accent "stretto" du nord, qui manient l’ironie comme les filets de pêche.

C’est le choc des cultures, la rencontre de deux mondes en crise que filme Andrea Segre : pas de grande théories politiques ou économiques, seulement un constat, quotidien, intime, inéluctable. D’un côté, Shun Li et tous ceux qui sont contraints ou choisissent d’abandonner leurs pays, leurs racines ; de l’autre, les « locaux » qui voient leurs traditions, leurs habitudes se transformer complètement.

Ces deux mondes, destinés à rester parallèles, qui d’habitude se jaugent circonspects et pleins de préjugés, finissent par se croiser et se rencontrer à travers la relation qui doucement et précautionneusement se tisse entre Bepi le vieux loup de mer, qui vit par et pour la lagune, son cabanon de pêche et ses petits verres de vin blanc et Shun Li, l’immigrée chinoise, soumise et obéissante qui travaille durement dans le seul espoir de voir un jour son fils la rejoindre. Toute en retenue, ils échangent d’abord sur les us et coutumes respectifs, puis s’apprivoisent l’un l’autre, s’entre-aident, se confient.

Une grande douceur se dégage des échanges entre Bepi et la jeune femme. Ce film est comme une poésie, tour à tour mélancolique, nostalgique, drôle : les poèmes écrits par Bepi, les timides sourires de Shun Li, les images de Chioggia, entre mer et lagune (magnifique photographie de Luca Bigazzi), le riant dialecte vénitien, la mélodique langue chinoise.

Peu à peu s’insinue une sourde violence, la pire de toute, basée sur l’ignorance, les lieux communs et le racisme : les deux communautés, italienne et chinoise, n’acceptent pas ce rapport qui bouscule "l’ordre" établi, les conventions.

L’étau se resserre autour de ce singulier couple… le jugement des autres aura raison des sentiments. Une fin douce-amère qui laissera sûrement des traces de sel sur les joues des spectateurs.

shun li et bepi, zhao tao et rade sherbedgia dans une scène de la petite venise, io sono li
Critique du film La petite Venise