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Publié le dimanche, 6 mars 2016 à 15h14

Mort d’un homme heureux de Giorgio Fontana

Par Riccardo Borghesi

Mort d’un homme heureux - couverture

Certains l’appellent terrorisme, d’autres lutte armée. Ce qui est certain est que la blessure laissée par les « années de plomb » reste ouverte en Italie ; jamais on n’a réellement essayé de la soigner avec un débat sérieux et adulte. Mais ne l’a-t-on jamais fait pour le Fascisme ? Ne le fera-t-on jamais pour le Craxisme ou le Berlusconisme ?

Le beau roman de Fontana se situe dans les années les plus sombres de cette période historique, celles de la dérive sanguinaire. Aldo Moro a été assassiné trois ans auparavant. Les bandes armées s’adonnent à des homicides politiques qui ressemblent plus à des sacrifices humains qu’à des actions visant un quelconque résultat.

On tue des politiciens de second ordre, des journalistes, des avocats, des magistrats, des ouvriers. On se venge sur les familles des repentis en empruntant des méthodes mafieuses. On fait des braquages pour s’auto financer. Des idéaux de justice et de progrès social, il ne semble pas rester grand chose.

De cette période difficile Fontana réussit à nous donner une image nette, en prenant en compte sa complexité et toutes ses contradictions. Il le fait en nous racontant les derniers jours de vie d’un jeune magistrat qui, en enquêtant sur un assassinat politique, signe sa propre mise à mort avec la capture des responsables.

Colnaghi est un personnage complexe, synthèse des tensions de la société italienne de ces années-là : origines modestes ; profondément croyant ; ayant grandi dans le vide laissé par son père martyr de la résistance et exécuté par les fascistes ; idéaliste plein de doutes, convaincu de l’importance de la compréhension et du dialogue ; conscient de l’imperfection de la société, mais représentant d’institutions qu’il est prêt à défendre au prix de sa vie.

Le choix de l’auteur de nous révéler dès le titre du livre le dénouement de l’histoire, relativise l’importance de l’intrigue. Le temps s’arrête, on vit les derniers jours d’un homme, dans un présent continu, suspendu, onirique par moments. Un présent dans lequel se mélangent les souvenirs, les doutes, les portraits de personnages mineurs, les amitiés, les difficultés des relations familiales, les réflexions sur la justice et sur les raisons de toute cette violence. On trouve une évidente esthétique du quotidien, d’un grand impact émotionnel. Sur tout cela, plane la présence constante de ce père jamais connu, devenu son guide et son modèle, et dont l’histoire est re-parcourue en filigrane.

Pour finir, en toile de fond il y a Milan, dont Fontana parle comme du troisième personnage du livre : un Milan pré-Berlusconien, encore vivant et profondément humain, sur lequel le regard se pose empreint d’une grande nostalgie.

PS: L’histoire racontée dans ce roman précède idéalement celle de « Que justice soit rendue », où le destin de Giacomo Colnaghi est évoqué. Le livre a été édité en 2013, toujours pour Seuil et toujours dans la belle traduction de François Bouchard.

Informations pratiques

Mort d’un homme heureux de Giorgio Fontana, Seuil, 21 €
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