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Publié le mardi, 3 juin 2025 à 09h49

Les Malarazza de Ugo Barbàra

Par Riccardo Borghesi

Les Malarazza de Ugo Barbàra - couverture

Commencer la lecture de "Les Malarazza", c'est comme s'asseoir au premier rang d'un cinéma populaire de province. La salle à moitié vide, la pénombre et le silence autour, rien ne vient distraire le spectateur de l'écran. En un instant, on passe de l'état de veille au rêve. Le monde extérieur, avec ses contrariétés et ses ennuis, laisse place à autre chose.

Sous les yeux du lecteur alors commencent à défiler à rythme soutenu images de batailles grandioses, de migrations épiques, de meurtres affreux, de barbares révoltes populaires étouffées dans le sang, de désirs de vengeance inextinguibles, d'amours contrariées mais destinées à triompher.

L'Histoire avec un grand H coule à proximité et se mêle à la vie de gens simples emportés par les événements décidés ailleurs : Garibaldi et l'expédition des Mille, la fuite des Bourbons et l'arrivée des Savoie, la guerre de Sécession américaine, les généraux Grant et Lee se défiant sur les champs de bataille, les émigrations massives de l'Italie post-unitaire.

Des échos cinématographiques et littéraires constants forment un écho de fond au récit : "Les Malavoglia" de Verga, "Les vice-rois" de De Roberto, "Le Guépard" de Tomasi di Lampedusa et/ou Visconti (impossible de s'empêcher de donner à Antonio Montalto le visage de Burt Lancaster, prince de Salina), "Les Gangs de New York" d'Asbury et/ou Scorsese ; mais aussi [la saga des Florio d'Auci|/actualite/news/les-lions-en-hiver-roman-de-stefania-auci-17964/] ou "La gang dei sogni" de Di Fulvio pour venir à des temps plus récents. L’histoire sicilienne semble re-devenir centrale dans la littérature italienne contemporaine.

Plusieurs histoires, comme forcément toujours dans le roman d'aujourd'hui, se déroulent en parallèle, alternant chapitres de l'une et de l'autre. La fin d'un monde antique sur le sol sicilien et le début d'un monde nouveau au- delà de l'océan.

Fantaisie et réalité se mêlent si naturellement qu'il est souvent difficile de discerner l'invention de l'histoire : la famille Montalto a-t-elle existé comme les Florio des Lions de Sicile ? Et la banque siculo-américaine fondée par Rosaria Battaglia ? Et le frère de Nino Bixio, Giuseppe, jésuite et aumônier de l'armée confédérée ? Et le héros dannunzien Luigi Palma di Cesnola ? Le banditisme était-il vraiment une guerre de résistance à l'envahisseur (comme semble le suggérer un passage quelque peu « néo-bourbonien » du roman) ?

Même si, entre Google et ChatGpt, la réponse est toujours à portée de main, la capacité à créer cette ambiguïté est une confirmation ultérieure de la maîtrise de Barbàra dans la construction d'histoires complexes et passionnantes.
Le scénario semble déjà écrit (l'auteur est en fait aussi scénariste de cinéma et de télévision), avec précision millimétrique, prêt pour une série Netflix ou un grande saga hollywoodienne.
"Les Malarazza", saisissant page-turner, pour utiliser un terme barbare, est une lecture parfaite pour la saison balnéaire qui approche.

PS: Une fois la dernière page terminée, vous vous retrouverez inévitablement à attendre avec impatience la traduction du deuxième volume de la trilogie, « Malastrada », sorti en Italie en 2024.

Informations pratiques
  • Ugo Barbàra, Les Malarazza, traduit de l'italien par Romane Lafore, Slatkine, 23€