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Publié le mercredi, 17 octobre 2012 à 09h00

L'art est liberté

Par Emilie Voisin

Une scène de théâtre, des couleurs, des comédiens, des applaudissements. Un sentiment de bien-être, de fierté, d’exultation même. Quelques plans plus tard, on passe au noir et blanc et les mêmes comédiens que l’on voyait libres, retournent en prison. « Depuis que j‘ai connu l’art, cette cellule est devenue une prison ».

C’est ce que confie un des détenus du quartier de haute sécurité de la prison romaine de Rebibbia, impliqués dans ce projet théâtro-cinématographique. Préparer, répéter et jouer « Jules César » de Shakespeare, sous la direction du metteur en scène Fabio Cavalli, tout en s’adaptant à la caméra des Frères Taviani.

En sortant de la salle, on ressent profondément le pourquoi de ce film (bien évidemment très réaliste, à la limite du documentaire) que nous explique les réalisateurs italiens : « nous avons éprouvé le besoin de découvrir grâce à un film comment peut naître de ces cellules, de ces exclus éloignés presque toujours de la culture, la beauté de leurs représentations ».

Ici l’art est un privilège, synonyme de joie, de liberté, d’émotions fortes, de fierté, de dévouement : c’est ce que l’on lit sur les visages et dans l’attitude des détenus, qui pour la plupart passeront leur vie en prison. D’ailleurs, la scène du casting (pour choisir qui jouera dans la pièce) en est un moment hautement symbolique. Les Frères Taviani appliquent une règle simple mais efficace : ils demandent aux détenus de déclarer leur identité, la première fois comme s’ils étaient interrogés et la deuxième, comme s’ils disaient adieu à une personne chère.

Il en résulte des scènes « cut » d’une intensité rare, chargées d’émotion à l’état brut (ils passent de la colère à la tristesse en quelques secondes), sans filtres, sur ces visages marqués par la vie et ces corps denses…c’est tout simplement magique !

La réhabilitation, la « ré-humanisation » même passe donc par les planches et les longues heures de répétition et d’appropriation du texte. Des répliques, des actes entiers que chacun traduit dans son dialecte d’origine : pour vivre son rôle plus intensément, s’y identifier.

Le résultat n’en n’est que plus fort, on passe du sarde au napolitain ou romain avec fluidité, énergie et beaucoup de musicalité. Ce microcosme enfermé et hors de tout qu’est la prison devient finalement le reflet de l’Italie toute entière, marquée elle-même par cette très forte identité des régions qui vivent, parlent et pensent parfois très différemment.

Le choix des Taviani de l’alternance entre la couleur (le présent, le spectacle) et le noir et blanc (le passé, les répétitions) finit par créer une légère confusion entre le réel et l’irréel, qui ajoute de la poésie et de l’esthétisme à la dure réalité des faits… L’effet « docu-fiction » s’efface pour laisser place à l’histoire, au théâtre, aux sentiments.

En tout cas, ce qui est sûr, c’est que tout ce que touchent les Frères Taviani devient de l’art…même les couloirs de prison !

photo du film cesar doit mourir des freres taviani
Critique du film César doit mourir