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Publié le vendredi, 11 juillet 2025 à 09h31

La bella confusione de Francesco Piccolo

Par Riccardo Borghesi

La bella confusione - couverture

Dans « La Bella Confusione », œuvre littéraire singulière et puissante, se trouvent deux livres, complémentaires par leur style et leur contenu. Le premier est un essai historico-cinématographique, au rythme soutenu et à la précision scientifique, riche et documentée. Le second est le journal d'une obsession cinéphile, à la limite de l'idolâtrie.

Au cœur de l'histoire se trouve la création parallèle et croisée de deux chefs-d'œuvre du cinéma italien des années soixante, dernière période où l'Italie a joué un rôle de premier plan dans la culture mondiale : « Le Guépard » de Visconti et « Huit et demi » de Fellini. Deux films qui marquent l'apogée de cette primauté, mais aussi le début de son déclin.

Deux films qui incarnent deux visions opposées et complémentaires du cinéma. La rigueur aristocratique de l'écriture contre le chaos créatif de l'improvisation. Deux visions si radicalement opposées qu'elles poussent les deux réalisateurs, avec l'apport de deux egos démesurés, vers un antagonisme hostile. Un dualisme qui se recréera dans le public et la critique donnant vie à deux factions irréconciliables : les Viscontiens contre les Felliniens.

Ce dualisme irréductible est le fruit d'une époque où deux visions manichéennes dominent la vie publique. Deux moralismes de nature opposée, le catholique et le communiste, se partageaient les âmes. L'art se retrouvait coincé entre ces deux forces contradictoires, pour devenir un instrument de lutte politique. Visconti le communiste, Fellini le "qualunquiste" bourgeois. À la manière de Coppi et Bartali, ou de Peppone et Don Camillo, pour ainsi dire.

deux forces contradictoires, pour devenir un instrument de lutte politique. Visconti le communiste, Fellini le "qualunquiste" bourgeois. À la manière de Coppi et Bartali, ou de Peppone et Don Camillo, pour ainsi dire.
La partie documentaire est mise en place avec une précision exemplaire. La linéarité du récit ne souffre pas des grandes parenthèses ouvertes par l'auteur, ni des sauts temporels dans les événements évoqués. Rigueur et rythme étourdissant rendent la lecture passionnante.

Puis, soudain, tout s'arrête, le silence s'installe. Et dans ce silence demeure la voix de l'auteur, qui commence à nous parler de lui-même. Le changement de rythme est surprenant, le passage de l'objectif au subjectif est si soudain que l'on est désorienté. Commence alors une accumulation de souvenirs, d'anecdotes, de réflexions sur le cinéma, sur le métier de scénariste. La linéarité cristalline de la première partie se transforme en un processus plus chaotique, répétitif et incertain. On avance à tâtons, l'auteur cherchant à comprendre sa place dans le monde, en le scrutant à travers le prisme déformant des deux films.
Voici encore Visconti contre Fellini. La rigueur et l'approximation.

Francesco Piccolo semble vouloir nous dire que tout, y compris lui-même, est l'enfant de cette dualité. « Le Guépard » et « Huit et demi » deviennent alors les oracles auxquels nous implorons des réponses. Le Yin et le Yang auxquels se raccrocher pour tenter de donner un ordre au chaos de l'univers.

Puis, de la même manière qu'il s'était arrêté, le récit repart brusquement, comme un train qui voudrait rattraper le retard dû à un arrêt imprévu. Il se dirige alors vers les finaux des deux films, nous raconte leur genèse, les similitudes et les différences. Puis dépasse cet âge d'or, traverse rapidement le crépuscule, il pointe enfin vers cette fin inéluctable même pour ces deux géants, Visconti et Fellini, qui avaient sans doute imaginé pouvoir y échapper.

similitudes et les différences. Puis dépasse cet âge d'or, traverse rapidement le crépuscule, il pointe enfin vers cette fin inéluctable même pour ces deux géants, Visconti et Fellini, qui avaient sans doute imaginé pouvoir y échapper.

Ps : « La bella confusione », titre provisoire de « Otto e mezzo » pendant le tournage, a été ostensiblement conservé en italien, probablement en référence à « La dolce vita ». Pour une fois, le marketing éditorial a pris la bonne direction.

Informations pratiques
  • Francesco Piccolo, La bella confusione, traduit de l'italien par Olivier Villepreux, Alban Michel, 22,90 €