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Publié le mercredi, 19 mai 2010 à 10h29

L'Italie des années de plomb

Par Stefano Palombari

Ces derniers temps on reparle beaucoup de la période de l'histoire italienne récente dite des « années de plomb ». La parution de cet ouvrage collectif rentre dans cette dynamique. Les temps semblent donc mûrs pour une réflexion sur ces années-là. Il est toujours embarrassant de parler d'un ouvrage collectif. Surtout lorsqu'il compte de très nombreux articles. Les contributions ne sont que très rarement du même niveau qualitatif, ce qui rend difficile un jugement d'ensemble.

L'introduction de Marie-Anne Matard-Bonucci « donne le la ». Il apparaît clair que l'objectif de ce livre est de donner un aperçu, le plus complet possible, de ces années-là sous de nombreux angles. Et les différentes contributions respectent la consigne. Le lecteur aura un tableau assez détaillé de ce qui s'est passé de 1969 jusqu'à environ 1982. Les rédacteurs ne sont pas avares d'éléments de réflexion. En revanche, au niveau des conclusions, le lecteur reste sur sa faim. On a l'impression que la faculté de rassembler les éléments pour tenter de fournir une explication a été volontairement bridée. Dès qu'on abandonne la certitude des prémisses, on ressent une certaine frilosité. Par crainte peut-être de dépasser les bornes des conclusions politiquement acceptées.

Et pourtant même Giovanni Moro, le fils d'une des victimes des Brigades rouges, dont l'assassinat est devenu le symbole de l'action des groupes armés de gauche en Italie, cité dans l'article de Barbara Armani, souhaite qu'on engage enfin une vraie réflexion sur les années soixante-dix. Il dit bien « engager » car elle n'a jamais commencé. L'article de Barbara Armani est axé sur le rapport entre souvenirs et mémoire. L'historienne part d'un constat : depuis les années 1990 on a trop écrit mais pas assez réfléchi sur cette période. Les livres-témoignage, notamment ceux des anciens acteurs de la lutte armée, se sont multipliés. Ce qui manque en revanche est un véritable travail historiographique. Ce qui demeure une opération extrêmement ardue, presque impossible car, frustrée par les omissions, les zones d'ombre et le secret d'état.

Mais quelles sont les années de plomb en Italie ? Si pour leur conclusion il n'existe pas de date précise et unanimement acceptée, tout le monde s'accorde à fixer au 12 décembre 1969 leur début. Ce jour là une bombe explose Piazza Fontana à Milan. Le bilan est lourd : 16 morts. Isabelle Sommier, dans sont article sur « les limites des interprétations des « années de plomb » », rappelle qu'en même temps trois bombes explosent à Rome et une cinquième est retrouvée à Milan dans une autre banque. Qui est le chef d'orchestre de cette action articulée ? On ne le sait toujours pas. Enfin pas officiellement, car il apparaît aujourd'hui acquis que l'État était impliqué à plusieurs niveaux : les services secrets, les forces de l'ordre, l'armée. Dans quel but un État démocratique organiserait-il une telle opération ? Des questions qui restent sans réponse.

Un autre attentat, l'action la plus meurtrière des années de plomb (85 morts) a lieu vers la fin de cette période. Le 2 août 1980 une bombe explose dans la gare de Bologne. Comme pour Piazza Fontana, la réaction de l'État est troublante (comme par exemple la thèse de l'accident formulé tout de suite après et par le gouvernement et par la police). Dans le livre on rappelle qu'à 30 ans de distance de ce massacre, le secret d'État, qui entrave le travail de la justice, n'a pas encore été levé. Chaque année, lors de la commémoration, les représentants institutionnels se font siffler par les familles des victimes, qui demandent une réelle volonté politique de découvrir les responsables.

Très touchants sont, dans les dernières pages, les souvenirs de Anna Negri, la fille du philosophe Toni Negri, condamné à trente ans de prison à la suite du procès « 7 aprile ». Un procès politique organisé, le 7 avril 1979, contre des universitaires, des syndicalistes, des étudiants... bref contre toute voix dissidente, qui scandalisa même une partie de la droite démocratique italienne.

Informations pratiques
L'Italie des années de plomb
Auteur : Marie-Anne Matard-Bonucci et alii
Éditeur : Autrement
Prix : 26 €
Parution : 7 avril 2010

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L'Italie des années de plomb - Couverture
Autrement, mai 2010, 26 €