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Publié le lundi, 7 juin 2010 à 15h14

Paris, la cité des femmes, exposition photo

Par Ilaria Venneri

Cette exposition a été réalisée grâce au soutien du laboratoire photographique IMA CHROM', sponsor officiel de la manifestation et de Villa Amore, locations vacances en Italie.
La Mairie du 13ème arrondissement inaugurera, du 18 au 25 juin, la 10ème édition de la Semaine Italienne. Cela fait désormais dix ans que le mois de juin prend les couleurs du drapeau italien. C'est un rendez-vous incontournable visant à nouer des liens de plus en plus étroits et significatifs entre la France et l'Italie. Comme chaque année, a été choisi un thème autour duquel gravitera toute une série de manifestations. Le thème de cette édition sera consacré à la liberté: liberté de la création artistique, liberté de la presse et de l'information.

Et c'est dans ce cadre que "L'Italie à Paris" et la revue "Focus in" ont organisé une exposition photographique autour du thème de "la femme et la ville de Paris". Nous sommes engagés depuis des années dans la diffusion de la culture italienne en France. Depuis 2010, nous collaborons  pour réaliser des manifestations de promotion de la culture italienne, satisfaisant ainsi nos buts communs.

L'exposition « Paris, la cité des femmes » porte un titre inspiré du célèbre film de Federico Fellini, un des derniers chefs-d'œuvre que le grand maître italien nous a laissés. Elle aura lieu du 18 au 25 juin 2010 dans les locaux de la Mairie du 13ème. Cinq jeunes photographes italiens de formation et d'univers différents participeront à cette exposition qui se déplacera en avril 2011 à Rome pour la "Semaine Française". Leur regard a interrogé la façon dont les femmes parcourent, vivent, observent les espaces de la Ville Lumière et y vivent.  Ils partagent un point commun : ils ont tous élu Paris "nouvelle ville" où poursuivre leur activité ou pour y vivre plus ou moins stablement. Et cela constitue déjà un premier élément à même d'expliquer les raisons qui nous  ont poussés à concevoir ce projet. Paris a été en effet  depuis la fin du XIX siècle un pôle d'attraction culturelle exemplaire. Jusqu'à cette époque-là ,dans toute l'Europe aucun artiste n'aurait songé à achever son apprentissage sans accomplir son « Voyage en Italie ». A partir de la fin du XIX siècle cependant, l'axe du ferveur artistique vira en direction du nord, s'arrêtant surtout à Paris.

Depuis le début du XXe siècle, de nombreux artistes italiens (pour se borner à l'Italie, cependant des artistes d'Europe et des États-Unis accoururent à Paris ) répondent à cet appel, en montrant une ferveur et un enthousiasme sans égal à l'égard du nouveau diktat de l'art moderne. Le monde des arts verra ainsi l'affirmation de ce mouvement aux contours assez flous et pas toujours faciles à définir, nommé « L'Ecole de Paris ». A partir du milieu des années vingt, cette école fera converger les expériences esthétiques et artistiques d'environ une centaine d'artistes venus d'ailleurs, véritable communauté artistique qui comptait entre autres Picasso, van Dongen, Soffici, Modigliani, Boccioni, Severini, Sironi parmi "Les italiens à Paris" et plus tard Chagall, Soutine, Zadkine pour n'en citer que quelques-uns. 

Toutes ces personnalités avaient au moins deux points communs : la même exigence de dépasser l'académisme en affirmant des langages formels tout à fait nouveaux et le fait d'avoir tous choisi de vivre à Paris, qui était dans l'imaginaire de l'époque le berceau de la liberté et d'une façon originale de concevoir l'art. N'oublions pas d'ailleurs que c'est sur la vie et les œuvres de ces artistes que nous avons forgé notre imaginaire collectif des Années Folles. Par l'appellation « Ecole de Paris » inventée par André Warnod en 1925, on entendait mettre en évidence la force d'attraction qui poussait les artistes du monde entier vers la Ville Lumière.

Il existait également un groupe de photographes que l'on peut classer dans l'Ecole de Paris, non pour des raisons stylistiques, mais plus parce qu'il s' agissait d'un groupe d'artistes qui s'établirent à Paris pour partager le même esprit moderne. Parmi les noms les plus connus il faut du moins rappeler Man Ray, Florence Henri, Germaine Krull et André Kertész . Ils avaient par ailleurs en commun le fait d'avoir cherché à saisir le Paris plus marginal, loin de la grandeur et de la magnificence. Leurs prises de vue des abattoirs, des maisons closes, des bistrots, des manouches de Bagnolet demeureront célèbres à jamais. Ils documentaient d'une façon nouvelle ce grand mythe urbain que Paris fut  entre les années vingt et trente, à travers une copieuse série de reportages qui racontaient le déroulement de la vie parisienne avec un intense réalisme poétique.

Ce qui nous intéresse toujours est, en effet, de constater qu'un siècle plus tard Paris demeure une destination privilégiée pour tous ceux qui désirent élargir le champ de leurs propres horizons culturels, s'enrichir et compléter un parcours esthétique commencé, dans la plupart des cas, dans leur pays d'origine. Nombreux sont les artistes qui s'exilent volontairement à Paris pour compléter leur formation ou s'y établir définitivement.

Il est d'autant plus intéressant de suivre les traces de ce parcours que l'assimilation des éléments d'une autre culture donne naissance à une nouvelle sensibilité dont les composantes se nourrissent de cette rencontre renouvelée tout en conservant ses propres racines. Ricciotto Canuto définissait cette jeunesse cosmopolite comme des « transplantés » dont le but était avant tout de devenir soi-même dans un pays choisi.

Une autre composante riche de fascination est sans aucun doute liée à ce que l'on pourrait définir comme le « regard étranger ». En effet les autochtones, complètement plongés dans la réalité de leur ville, souvent n'arrivent plus à en saisir ses aspects moins évidents, voire plus cachés. Il arrive donc très souvent que seul le regard neuf et vierge des étrangers soit capable de capter ce que l'habitude enveloppe dans le brouillard. En outre, l'étranger est souvent un inlassable flâneur, il traverse les rues pour déceler un monde complètement nouveau. Parmi les photographes de cette "nouvelle Ecole",  à peu près la moitié étaient des femmes ce qui témoigne du degré d'émancipation atteint par celles-ci. Ces femmes-artistes ont su saisir les aspects les plus secrets de cette ville qui, pour la plupart d'entre elles, ne représentait qu'une étape de leur pèlerinage sans fin. Tous ces artistes étaient effectivement de grands voyageurs. Et le thème du voyage, qui recoure dans leur vie aussi bien que dans leurs œuvres, est lié à un autre aspect qui a guidé l'élaboration de cette exposition et qui concerne notamment le titre.

La cité des femmes est, comme déjà indiqué, inspiré d' un film que Federico Fellini a réalisé en 1980. Rappelons brièvement la trame. Pendant un voyage en train, Snaporaz, le protagoniste du film, rencontre une femme qui l'emmène dans un univers féminin, sorte de "gineceo" (gynécée) où se déroule un procès contre le mâle. Ici, le vieux séducteur se retrouve plongé dans une dimension onirique de signes et de symboles qui l'entraînent dans une profonde réflexion sur le rapport homme-femme et notamment sur le rôle de celle-ci dans la société. 

Dans ce film, en effet, la composante idéologique était très évidente puisque, entre autres choses, le sujet du film était le contraste entre la nouvelle réalité historique du féminisme et l'ancien rôle de muse inspiratrice attribué longtemps à la femme. L'œuvre fellinienne est une longue confession au terme de laquelle le réalisateur admet sa complète incapacité à comprendre cette nouvelle femme tout en regrettant, d'une façon amusée, celle plus traditionnelle qui avait habité son enfance (Amarcord, Huit et demi en témoignent). Avec la Cité des femmes, Fellini a voulu parler du « Continente donna, oscuro et misterioso », mais en fin de compte, il finit par parler de lui-même, de ses rêves, de ses fantômes. Dans le langage artistique, il arrive très souvent que l'on prenne un thème comme prétexte pour finalement sonder son propre Moi. Et c'est ce qu'ont fait les cinq photographes ici réunis auxquels on a demandé d'arrêter pour un instant leur voyage pour nous offrir un conte en images de la ville que nous habitons. L'exposition a en commun avec le film le thème d'un voyage parmi des inconnues, voyage qui dans le cadre de l'exposition coïncide avec la connaissance d'une ville et d'une vie nouvelles. Et d'ailleurs, le fait qu'il s'agisse de femmes ne doit pas être considéré comme un choix idéologique précis. Si chez Fellini la composante idéologique et militante est très marquée, notre choix a été dicté seulement par une volonté documentariste.

Ce choix fait néanmoins partie d'une fresque plus vaste qui pourra continuer à prendre forme et qui pourra inclure les nombreux masques qui peuplent ce grand théâtre à ciel ouvert qu'est Paris, fresque autour du thème du « regard étranger » qui s'engage, par le biais de l'art, a comprendre et à se familiariser avec la ville.

Cinq regards provenant des univers les plus différents ont parcouru la Ville Lumière à la recherche des traces laissées par les femmes, interrogeant les espaces, les lieux occupés par elles en devinant leur état d'esprit. A l'observation des œuvres, on remarque tout de suite la grande variété des sujets choisis. Et cela grâce à une caractéristique toute parisienne : Paris est une ville qui donne, en effet, la possibilité d'aller à la rencontre d'un nombre étonnant de réalités très différentes. C'est bien dans ce but que l'on a voulu concevoir cette exposition, qui se présente comme un reportage intime et personnel au bout duquel chaque artiste nous a fait part d'une journée parisienne ordinaire, passée en flânant et en regardant les milliers de visages qui la traversent sans cesse.

Stefano Budar est le plus « parisien » du groupe puisqu'il vit ici depuis vingt ans. Il a recherché sa Muse, une muse inconnue qui puisse donner une motivation à son expérience esthétique. Toute son œuvre est imprégnée par ce que lui-même définit comme « le hasard composé ». Il s'agit d'un procédé qui consiste à construire dans les moindres détails l'image en attendant toutefois qu'un élément inattendu survienne, ce qui donne naissance à des portraits à l'atmosphère suspendue, au réalisme magique. Les siennes sont des photos de chambre, organisée comme des scènes de théâtre. La lumière y est rigoureusement artificielle. Après avoir ordonné chaque élément avec soin, le travail de Budar est fini. Il ne reste qu'à attendre que toute la mise en scène se défasse.
Et cela peut se produire pour plusieurs raisons, souvent à cause de l'impatience du sujet ou alors à la suite des temps de pose assez longs que la chambre demande. Dans l'exposition sont présentes des photos qui appartiennent à la série des « Canapés » où les gens sont invités à s'allonger sur le confortable divan réalisé par Budar, comme lors d'une séance de psychanalyse. Tout cela devient alors pour le sujet une occasion d'auto-connaissance à travers le regard objectif du photographe et le temps de la chambre qui imposent une réflexion profonde.

Le travail de Veronica Mecchia est très remarquable aussi. Elle vit à Paris depuis quelques années. C'est elle-même qui clarifie les termes de son travail en précisant que « A la base de tout , il y a un sortilège: la photographie en noir et blanc pétrifie les femmes en chair et os en cristallisant un geste, un sourire, une expression, tandis qu'il donne vie à la pierre en la faisant revenir fragile et palpitante tout comme un corps réel, donc mortel. A travers l'illusion de la photographie, j'ai essayé de faire revivre les modèles de Rodin, lesquels autrefois ont offert dans un atelier parisien, leur âme au Maître ».
Au centre des photos exposées ici , il y a des sculptures d'Auguste Rodin. La jeune italienne a photographié des femmes dont la beauté et la perfection avaient déjà été immortalisées par le regard puissant du grand Maître français. Veronica retrace, en quelque sorte, le parcours créatif de Rodin. Et à cet égard on ne pourrait pas s'empêcher de fouiller les écrits du sculpteur, source indispensable, son véritable testament artistique ainsi que spirituel. C'est bien en parlant de la beauté des femmes que Rodin déclare qu'à l'égard d'un corps, ce que nous admirons le plus, n'est pas sa beauté matérielle, mais plutôt le Feu qui l'anime. Le même feu qui, à notre sens, a été si bien révélé dans les images de Veronica Mecchia et cela surtout grâce à l'usage d'une technique ancienne qui amplifie encore plus le dialogue entre ces images et leurs modèles.

Le paysage urbain est le Protagoniste absolu des photos de Ciro Prota. Le photographe napolitain, en France depuis 2006, nous offre une narration en images d'une ville que nous reconnaissons aussitôt être Paris. La tour Eiffel, la brocante, les boulevards.
Les femmes de Prota occupent des espaces métaphoriques. L'harmonie et la perfection que l'imaginaire collectif attribue au corps féminin deviennent les codes impératifs de l'architecture urbaine. L'objectif photographique marque le passage de la dimension virtuelle et iconographique à la micro-réalité d'une image anonyme, indéfinie et avilie. Ces femmes tournent le dos aux spectateurs, elles se cachent derrière une burqa, elles nous sourient depuis l'image virtuelle d'une publicité.

Dans les photos de Matteo Pellegrinuzzi sa formation de photo-reporter de presse est très évidente. Son regard n'est pas celui d'un militant engagé, mais plutôt d'un spectateur qui a essayé de saisir et fixer la multitude de visages qu'on peut croiser chaque jour à Paris. Avec un intérêt tout documentariste et hors d'une quelconque rhétorique, Pellegrinuzzi nous propose un portrait suggestif des réalités différentes qui habitent une métropole du XXIème siècle. Ce sont des scènes du quotidien directes et spontanées qui fixent la vie à Paris: une femme-peintre de Montmartre, des artistes de rue, une femme à la Défense, deux touristes. Existences différentes, mais qui néanmoins sont l'expression d'un monde en perpétuelle transformation.

Chiara Giustiniani termine enfin ce voyage de cinq photographes italiens qui ont interrogé, chacun à sa façon, les rues, les places, les trottoirs que nous traversons tous les jours. La vision de la photographe d'origine romaine est fortement suggérée par le style des photos de mode dont elle dédramatise la froide fixité. Chiara a choisi la couleur pour parcourir Paris en nous proposant des images riches d'humour et d'ironie. Nous sommes invités à partager les jeux amusés de deux jeunes filles qui nous montrent leur façon personnelle de vivre une ville où il y aussi de la place pour le rêve, la beauté, la grâce. Elle crée une atmosphère insouciante qui oscille entre « joie de vivre » et une subtile inquiétude, comme dans la photo où la jeune femme au chapeau de plumes tourne son visage sur un arrière-plan flou et indéfini, métaphore de l'incertitude du destin de nous tous.

Logo ImachromLa Cité des femmes en abordant de grands thèmes tels que le cosmopolitisme, les échanges culturels et existentiels, le voyage, la diversité nous suggère une importante réflexion. À une époque où l'on a l'impression que les frontières entre les pays deviennent de plus en plus infranchissables, de peur que notre identité soit mise en péril, il est impératif de penser que seuls la liberté des échanges, le métissage culturel peuvent rendre l'identité d'un peuple plus vital et plus significatif de sorte qu'on puisse se comprendre soi-même à travers l'Autre et vice versa.

Cette exposition témoigne enfin du lien étroit qui unit L'Italie et la France, lien basé essentiellement sur la volonté réciproque d'entretenir toujours un dialogue fondé sur les affinités tout comme sur les différences. Paris, la cité des femmes, du 18 au 26 juin 2010, Marie du XIIIe arrondissement (Place d'Italie), Galerie Bièvre. Sponsor officiel : Ima Chrom' (Laboratoire photographique professionnel, 27 rue de l'espérance 75013 Paris Tel: 01 43 13 24 36), avec le soutien de Villa Amore

Paris, la cité des femmes - affiche
Marie du XIIIe, Galerie Bièvre du 18 au 26 juin 2010 organisé par l'Italie à Paris et Focus in