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Publié le samedi, 2 janvier 2010 à 10h02

L'Obscure ennemie de Elisabetta Rasy

Par Stefano Palombari

L'Obscure ennemie - Couverture

Comment décrire les souffrances physiques et psychiques provoquées par une maladie incurable ? Elisabetta Rasy choisit une voie indirecte sans trop appuyer sur le pathos. Avec des aller-retour entre le passé et le présent, l'écrivaine trace un portrait précis de son personnage, une octogénaire à la forte personnalité. C'est la fille, une écrivaine frôlant la cinquantaine, qui raconte le calvaire de sa mère et, par conséquent, le sien. Son rapport particulier, « complexe » voire difficile, avec sa mère jaillit à chaque ligne. Les entêtements, les caprices, les rages, les moments de désespoir de la malade sont rendus par des adjectifs souvent contradictoires, par moment de la compassion mais aussi, de temps à autre, presque de la haine.

Le titre italien de ce roman est L'estranea, L'Étrangère. Il est à mon sentiment beaucoup plus évocateur que le français. Par ailleurs, ce mot revient souvent au cours de la narration, en suggérant la transformation que la maladie opère dans l'attitude de cette mère forte et dans le regard de sa fille. Qui a du mal à la reconnaître. Jusqu'au moment où le rapport entre les deux s'inverse carrément. La fille, qui malgré son âge, s'est toujours appuyée sur sa génitrice, doit prendre les choses en main et s'occuper de sa mère. Ce changement radical provoque une sensation d'étrangeté qui bloque souvent l'action. Qui fait douter dans les moments où il faut prendre des décisions importantes.

C'est un roman tout en finesse. Même lorsque l'écrivaine décrit ses rapports le plus souvent conflictuels avec les médecins. Elle le fait avec des mots qui lui sont propres. Elle parle donc de « grammaire et de vocabulaire de la maladie », qui lui étaient jusque là heureusement inconnus. Cela devient presque l'apprentissage d'une langue. De l'extérieur on pense à tort que la médecine est un bloc monolithique, que les médecins savent toujours quelle est la bonne décision et qu'ils sont plus ou moins tous d'accord entre eux. Ce n'est qu'une illusion qui réconforte. Une fois projetée à l'intérieur de cet univers de souffrance, l'écrivaine se heurte tout de suite et de façon très violente aux aléas du monde médical. « Opérer ou ne pas opérer » ? Les deux premiers médecins qu'elle contacte lui conseillent exactement l'opposé. Et ils préconisent d'atroces souffrances si elle pense faire autrement.

Elisabetta Rasy, qui a déjà publié plusieurs ouvrages parus en France dont, il y a trois ans, « La Science des Adieux », écrit avec L'Obscure ennemie un roman à mi chemin entre la fiction et le récit autobiographique. La délicatesse, déjà évoquée, du langage, mariée à des choix stylistiques heureux, qui lui permettent de ne jamais tomber dans le pathétique et dans le mélodrame malgré un sujet aussi lourd, rendent la lecture de ce petit bouquin de 130 pages très plaisante.

Informations pratiques
L'Obscure ennemie de Elisabetta Rasy
Traduit par Nathalie Bauer. Seuil 7 janvier 2010. 17 €