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Publié le mercredi, 18 février 2009 à 16h16

L'arrivée de mon père en France de Martine Storti

Par Elisa Torretta

C'est à Calais, après l'évacuation d'un groupe d'immigrés Kurdes et Afghans réfugiés dans une église que l'auteur a pour la première fois cette idée. L'idée, c'est de tenter de reconstruire l'arrivée de son père Matteo en France dans les années 1930, d'un petit centre de la Ligurie à la banlieue parisienne.
Quelle était sa vie avant de quitter l’Italie ? Qu’est-ce qui l’a poussé à partir ? Qu’a-t-il pensé quand il a vu pour la première fois la grande ville de Paris ? Comment a-t-il été accueilli ?

Le père meurt en 1976, sans que la jeune fille ait jamais eu la curiosité ou la nécessité de le questionner sur son passé. Maintenant, face aussi aux nombreuses expériences qu’elle a eues en tant que journaliste, elle s’interroge sur les sentiments et les impressions de ce jeune homme venu d’ailleurs. Tout ce qu’elle sait c’est que son père a passé la plus grande partie de sa vie à travailler comme ouvrier anonyme dans l’usine du beau-frère. La sœur et son mari les patrons, Matteo et sa femme Thérèse salariés, et jamais une revendication ou une gratification pour l’aide inconditionnelle apportée à l’entreprise.

Elle ne possède que peu de fragments de sa vie, notamment avant son arrivée en France. Matteo ne parlait jamais de l’Italie, comme, d’ailleurs, il ne parlait jamais italien, selon un usage très commun parmi les familles d’immigrés jusqu’à il y a quelques décennies. Il y avait seulement certaines « italieneries » (surtout dans la cuisine : les raviolis, la charcuterie, les spaghetti), qui rendaient sa famille intimement différente des autres. L’auteur est donc souvent contraint de formuler des simples suppositions et à se poser beaucoup de questions qui demeurent sans réponse : « Une curiosité d’ailleurs à jamais insatisfaite, ce qui m’a obligé, pour combler les espaces que la mémoire n’occupe pas, non à inventer, mais à essayer de deviner, sans m’accorder une grande liberté, en restant raisonnable en quelque sorte, c’est-à-dire en demeurant dans ce qui me paraît vraisemblable au regard du peu que je sais. Il m’importe en effet de tenter une approche vraie, quand bien même il s’agit non d’une réalité que je restitue, puisque je l’ignore en grande partie, mais que je construis. »

Mais si on est dans l’impossibilité de reconstruire un cadre clair de la vie de Matteo, on peut au moins essayer de l’imaginer à travers des analogies ou l’analyse des faits contemporaines. Dans cette vision, l’existence du simple ouvrier devient à la fois un prétexte pour réfléchir sur les adversités endurées par les nouveaux immigrés. Son père a dû faire face à des difficultés similaires ? Comment a-t-il fait, à peine arrivé, sans un permis de travail ?
Un trait d’union entre le passé et l’actualité qui parfois paraît un peu forcé, mais qui nous rappelle la vocation historique da la France comme terre d’accueil et le fait que les Français d’aujourd’hui ne sont que le résultat de différents et anciens mélanges.

Également, les souvenirs clairs et vivants, restitués par les mots de la mère, de la Deuxième Guerre sont une occasion pour s’interroger sur la conduite des français pendant la République de Vichy, en particulier sur la déportation des Juifs.
Encore des questions non résolues : comment les citoyens ont-ils pu supporter l’existence imposée par la guerre, pas seulement par rapport aux privations et adversités, mais aussi devant les faits macroscopiques qui se dégageaient sous leurs yeux ? Etaient-ils tous trop pris par leurs difficultés pour s’apercevoir de ce qui se passait à l’extérieur de leurs habitations ?

Ressort ici la vocation journalistique de l’écrivain et les récits prennent le ton d’une enquête, avec la citation de plusieurs documents et faits historiques. Particulièrement dures sont les critiques vis à vis de l’indifférence de ses compatriotes et à la volonté de l’Etat de cacher certains avènements peu édifiants.
« De là, de ce projet, je me suis retrouvée en train d’évoquer les enfants juifs raflés par la police française et enfermés dans les camps français avant d’être envoyés dans des trains français à Auschwitz. Je m’y suis retrouvée dans un mouvement qui ne dépend pas complètement de moi, un lien qui noue tous ces fils, émigration, guerre, lâcheté, courage, saloperie, exil, indifférence, dignité, responsabilité individuelle, mémoire… »

Après la visite au centre d’accueil de Sangatte, près de Calais, au début du récit, le livre se termine par la visite d’un autre centre, cette fois dans l’île italienne de Lampedusa, où chaque année des centaines de désespérés débarquent de l’Afrique à la recherche d’un futur meilleur. Des arrivées qui réveillent inquiétudes et sentiments nationalistes.
Elle rassure ceux qui craignent croit que tous ces clandestins peuvent tâcher, selon une expression abusée par certains politiciens, l’identité nationale française. Elle se pose en exemple : ses « italieneries » sont des toutes petites parties d’elle, qui ne corrompent ou affaiblissent pas sa part française, dans la conscience que : « au-delà des Alpes il existe une part de moi-même qui ne m’a jamais rendue étrangère à la France ».

Informations pratiques
L'arrivée de mon père en France
Auteur : Martine Storti
Éditeur : Michel De Maule
Prix : 20 €
Parution : novembre 2008

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L'arrivée de mon père en France
Michel De Maule, novembre 2008, 20 €