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Publié le mercredi, 6 novembre 2013 à 15h56

La Mariée était en rouge, roman de Anilda Ibrahimi

Par Stefano Palombari

Saba était très jeune lorsqu'elle fut contrainte d'épouser un homme beaucoup plus âgé qu'elle. Et pas n'importe qui, le veuf de sa sœur Sultana, morte en couche des années auparavant.

En Albanie, les mariées s'habillaient en rouge. Rosso come una sposa (rouge comme une mariée) dit le titre italien. Mais aussi comme le drapeau albanais ou bien comme la dette de sang qui lie les familles de Saba et de son mari. Tout se passe à Kaltra, petit village de l'Albanie, entre le début du XX siècle et nos jours. Saba est la figure emblématique de cette belle histoire. Elle en est le centre de gravité. Les nombreuses petites et savoureuses histoires qui concernent d'autres membres de la famille, tournent toujours autour de cette femme forte et charismatique. Parfois drôles, parfois tragiques, jamais grotesques ni mièvres, ces « divagations » familiales se révèlent en réalité comme des tesselles essentielles d'une mosaïque sur l'Albanie et son histoire.

Particulièrement efficace l'histoire de la jeune nièce étudiante qui s'éprend d'un camarade sénégalais. La réaction violente des autorités albanaises montre bien toutes les limites pratiques de l'égalitarisme prôné par les discours officiels du régime de Hoxha. Attitude qui atteint le paroxysme lors de la naissance d'un bébé métis.

Mais Saba se charge également, malgré elle, de relier l'ancien monde rural albanais à la « construction du socialisme » et à son effondrement. Comme toujours dans l'histoire, rien n'est clair, net, distinct. Les traditions ancestrales et la religion, bannies lors de l'édification de la « société nouvelle », finalement survivent aux décrets et cohabitent en cachette avec les règles imposées par le régime de Hoxha.

C'est un livre beau et bien écrit, un livre poétique qui nous dévoile l'Albanie, pays souvent négligé, sous un angle original. Il s'agit d'un premier roman qui montre l'étoffe et le talent d'une vraie romancière. La touche délicate de chaque mot happe le lecteur dans le tourbillon de la narration. Une maîtrise et un équilibre de tons exemplaires. Tout est dit avec justesse. Y compris les longues années sous le régime de Hoxha, quand l'Albanie s'est totalement fermée au monde. Les Albanais continuaient de mener une vie normale dans les petits villages ou dans la capitale. La plupart participaient au régime. Et ils en recevaient leurs petits bénéfices. La famille de Saba ne faisait pas exception.

L'auteure ne se prive pas de pointer du doigt les enthousiastes du changement de régime. Ceux-là même qui jusqu'à quelques mois auparavant y participaient avec le même enthousiasme. A la chute du régime, en 1991, tout le monde s'est découvert soudainement dissident. Dora, la narratrice, est l'alter-ego de l'auteure partie vivre, comme beaucoup de ses compatriotes, à l'étranger. Dora-Anilda, après un bref séjour en Suisse, a choisi de poser ses valises chez les Peppini, sobriquet que les Albanais donnaient aux Italiens sous le régime d'Hoxha.

Entretien avec Anilda Ibrahimi

Informations pratiques
La Mariée était en rouge
Auteur : Anilda Ibrahimi
Éditeur : La librairie Vuibert
Traducteur : Maïra Muchnik
Prix : 20 €

La Mariée était en rouge - Couverture
Books éditions, 20 €