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Publié le mardi, 4 octobre 2016 à 09h13

Fuocoammare, aux sombres héros de la mer

Par Antoine Le Fur

C’est à travers le regard du jeune Samuele Pucillo que le spectateur découvre le quotidien des Lampedusiens (crédit photo : Allociné / 21 Uno Films)

Ours d’Or à la dernière Berlinale, Fuocoammare, par-delà Lampedusa de Gianfranco Rosi immerge le spectateur sur Lampedusa, cette île italienne connue pour être devenue le point de convergence de milliers de migrants. Malgré certaines longueurs, le film développe une intensité particulière doublée d’un message édifiant.

Lorsque l’on évoque Lampedusa, on songe immédiatement aux migrants. On en viendrait presque à oublier que cette petite île méditerranéenne, à égale distance de la Sicile et des côtes africaines, est habitée par un petit groupe d’insulaires. Rendre compte de la vie de ces derniers, tel est le pari de Gianfranco Rossi, réalisateur érythréen et auteur de plusieurs documentaires remarqués tels que Below Sea Level ou El Sicario-Room. Fuocoammare, littéralement « feu en mer » est pourtant un film qui démarre sur terre. Dès les premières minutes, la caméra suit les mouvements de Samuele Pucillo, jeune Lampedusien. Avec son acolyte, le garçon fait les 400 coups, fabrique des lance-pierres et s’occupe comme il peut sur ce petit bout de terre balayé par les vents. Une insouciance contrastant avec la tragédie qui se joue à quelques encablures de là. Car la mer aux abords de Lampedusa est bel et bien devenu un cimetière ces dernières années. Comme le film le fait justement remarquer dès son générique, « 40 000 migrants ont débarqué à Lampedusa ces 20 dernières années. 15 000 personnes sont mortes en tentant de traverser le Canal de Sicile pour gagner l’Europe ».

Fuocoammare évoque à la fois le quotidien des Lampedusiens et l’odyssée des migrants pour rejoindre ce qu’ils pensent être une terre promise. Deux groupes, deux entités disposant chacune de leur propre espace géographique et ne se croisant quasiment jamais. La caméra de Gianfranco Rossi nous montre la vie des habitants de l’île qui pourraient être celles de n’importe quels citoyens d’ici ou ailleurs. Les enfants vont à l’école, les « mamma » cuisinent pour la famille, on y écoute la radio et regarde la télévision… Le cinéaste s’est complètement immergé dans cette communauté et on jurerait qu’il y a passé sa vie. Tel un ethnologue, Gianfranco Rossi regarde, étudie les Lampedusiens. Le regard du réalisateur va se substituer à celui du jeune Samuele. Ce dernier, souffrant d’un œil paresseux, va devoir apprendre à se servir de cette pathologie pour être le témoin des événements extérieurs.

Le regard de Gianfranco Rossi, lui, ne sera jamais paresseux. Sa caméra oscille habilement entre l’île et la mer. L’intensité est présente à chaque séquence pour finalement atteindre son acmé lors des derniers plans où le spectateur prend conscience (s’il avait encore des doutes) de l’horreur de la situation. Même si l’on reste captivé par le dispositif scénique et le discours du film, on regrettera néanmoins certaines longueurs comme lors de ces interludes dans lequel un habitant de Lampedusa s’adonne à des séances de plongée sous-marine. Les images sont belles mais apparaissent, par leur récurrence, comme quelque peu artificielles.

Cela n’enlève rien cependant à l’importance du propos du film. En lui décernant l’Ours d’Or, le jury de la dernière Berlinale a peut-être agit dans un seul but politique. Possible que oui, possible que non. Il semble surtout que le talent de cinéaste de Gianfranco Rossi ne pouvait laisser de marbre. Il aurait été donc bien étonnant de le laisser repartir bredouille.

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Critique du Film Fuocoammare